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n’en a été laissée stérile, et la vie, la végétation, apparaissent partout où n’affleure pas le rocher nu. En plusieurs endroits, le rocher lui-même s’est revêtu et a refleuri grâce à de la terre rapportée et à un filet d’eau habilement dirigé. L’irrigation est un art ancien et populaire sur le versant italien des Alpes. Le Vaudois l’a cultivé par goût et aussi par nécessité. Il s’est bien gardé de laisser couler au Pô l’eau précieuse des torrens alpins avant qu’elle n’eût arrosé son territoire. Par des conduites en bois jetées sur les ravins et les précipices, par des travaux parfois très coûteux, il l’a dirigée le long de ses pentes brûlées, sur ses costières desséchées par le soleil d’Italie, et à l’aide de cet agent de fertilité il a embelli sa demeure et suscité toutes les forces productives du sol.

On reconnaît au groupement particulier des villages et des hameaux cette pression exercée de bas en haut sur la population. Ils fuient les lieux bas et recherchent les hauteurs, comme pour se mettre à l’abri d’un ennemi invisible, maître de la plaine. Le point le plus élevé et le plus inaccessible du groupe d’habitations est ordinairement occupé par un édifice rectangulaire, carré comme un dé, percé de fenêtres carrées aussi, qui se cache derrière un bouquet d’arbres : c’est le modeste temple vaudois, mieux gardé, plus soigneusement mis à l’abri des surprises que les autres constructions, car ce peuple, religieux entre tous et qui garde encore la foi des anciens jours au milieu de l’indifférence moderne, y était souvent assemblé non-seulement pour le culte et la prière, mais encore pour la délibération sur les intérêts de la défense commune en présence des persécuteurs de sa foi. Une loi d’intolérance, demeurée en vigueur depuis les premiers temps de la réformation jusqu’au règne de Charles-Albert, obligeait les Vaudois à cacher leur temple aux regards de la population catholique, soit en l’éloignant dans les montagnes, soit en l’entourant d’un mur aussi haut que l’édifice. C’est pour éviter cet affront aussi bien que pour n’être pas surpris pendant leurs assemblées que les Vaudois le construisaient dans l’endroit le plus inaccessible. Le danger n’existe plus, la population hétérodoxe est aujourd’hui libre de s’épancher sur le Piémont et sur l’Italie ; mais le sanctuaire de la foi vaudoise n’en reste pas moins toujours perché, avec le champ des morts qui l’accompagne, sur quelque hauteur abrupte, et pour s’y rendre on voit chaque dimanche la foule pieuse gravir en silence le sentier pénible tracé au flanc des montagnes. La distance à parcourir est souvent de plusieurs lieues pour les communes les plus rapprochées de la zone catholique.

Le massif de verdure qui accompagne le village et le temple est formé par le châtaignier, l’arbre national des Vaudois. Le regard le rencontre déployé sur toutes les collines, arrondissant son dôme