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un flot de population qui en a fait disparaître la forêt pour y trouver sa subsistance. Les cultures, les habitations permanentes, les hameaux où l’on demeure l’hiver comme l’été, y montent à une hauteur considérable. L’inalpage, ce curieux mouvement qui élève au printemps et abaisse en hiver le niveau de la zone habitée des Alpes, est supprimé dans la section vaudoise. Il n’est pas resté assez de place pour qu’il pût se produire librement. La population permanente a débordé dans la région du pâturage et du chalet pour fuir l’ennemi campé dans la plaine piémontaise et se rapprocher du groupe ami et de même religion assis sur l’autre versant.

On se demande d’abord depuis quelle époque ces sommets se sont chargés d’une population séparée des autres par la foi. Suivant les traditions locales recueillies par Théodore de Bèze, la dissidence religieuse, une dissidence patente ou occulte, y aurait existé de tout temps, da ogni tempo, da tempo immémoriale, disent les manifestes vaudois des premiers jours de la réformation, et comme cette dissidence est essentiellement chrétienne par ses affirmations dogmatiques, on en a conclu qu’elle n’était rien moins qu’un débris de l’église des premiers âges chrétiens arrêté sur les Alpes et que n’a pu reprendre la marée montante de l’église romaine. Quoi qu’il en soit, les manifestations opposées à l’orthodoxie dominante ne furent découvertes dans ces vallées qu’à dater du XIe siècle. La dissidence y est signalée pour la première fois en 1050 par Pierre Damien, légat du pape dans la Haute-Italie. Dans une lettre adressée à la souveraine du versant italien, à cette comtesse Adélaïde de Suse qui a ouvert l’Italie à la maison de Savoie par son mariage avec Oddon, fils d’Humbert aux blanches mains, il lui fait remarquer qu’il existe dans ses domaines une population qui a déserté la foi. Pour la ramener au giron de l’église, la comtesse fonda un couvent auquel elle accorda les droits seigneuriaux de haute et basse justice sur une partie du sol occupé par la population égarée. Ce couvent est l’Abbadia de Pignerol, où se sont organisés dès lors les moyens de persuasion et de violence, les missions et les razzias dirigées contre les Vaudois, tour à tour maison de pieux missionnaires et repaire de bandits attirés par l’espoir du pillage, plus tard prison d’enfans arrachés à leurs parens et baptisés de force, aujourd’hui vaste ruine inhabitée. Six ans après ce premier éveil de l’orthodoxie, la dissidence attire l’attention du pape Victor II. Il adresse une bulle à Viminien, archevêque d’Embrun, pour l’engager à prendre des mesures contre cette hérésie. Il paraît qu’à cette époque elle débordait déjà sur le versant français, car le pape avertit son subordonné que son diocèse en est merveilleusement infecté, mirabiliter corruptam. Un autre pape, Urbain II, signale en 1096, comme plus particulièrement infectée, une vallée dauphinoise devenue plus tard