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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/470

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voix s’anime, et derrière le colporteur apparaît le prophète. « J’ai une perle de grand prix, s’écrie-t-il, j’ai une perle si brillante que par elle l’âme est éclairée, si éclatante qu’elle allume l’amour de Dieu dans le cœur de celui qui la possède ! » Après cet exorde qui pique vivement la curiosité du seigneur et de la châtelaine, il tire enfin cette perle merveilleuse qui se trouve être ou un écrit de la secte, ou un livre de la Bible en langue vulgaire, ou bien encore des passages récités par cœur avec une énergie croissante. L’inquisiteur rapporte quelques-uns de ces passages qui servaient aux sectaires vaudois d’armes de guerre contre l’église. Ce sont les sentences terribles de Jésus contre les prêtres de son temps, ses malédictions contre l’orgueil, l’avarice et l’hypocrisie des pharisiens du judaïsme. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui dévorez les maisons des veuves sous prétexte de longues prières ! Malheur à vous qui liez des fardeaux insupportables sur les épaules du peuple, et ne les voulez toucher du bout du doigt !!… Conducteurs aveugles, serpens, race de vipères, malheur ! malheur ! vœ vobis ! » Le colporteur s’empare de ces paroles foudroyantes, et les lance sur l’église du moyen âge en y ajoutant ses commentaires irrités. On peut imaginer l’effet produit par ces prédications enflammées sur des esprits déjà aigris par le spectacle d’une église oppressive. Aussi, ajoute l’inquisiteur, rarement arrivait-il que l’apôtre fût trahi et consigné à l’autorité ecclésiastique, et son passage dans la contrée était marqué par les disciples secrets qu’il y laissait.

A la suite de ces marchands venaient les prêtres acéphales. Rien n’est plus fréquent au moyen âge que la rencontre de ces prêtres ou moines vagabonds qui entreprenaient de longs voyages en dehors de leur diocèse ou de leur couvent pour annoncer la parole divine. Ils n’étaient pas tous des échappés de la règle romaine, tant s’en faut ; le plus grand nombre au contraire étaient d’utiles instrumens dans les mains de l’autorité, allant chercher les populations les plus retirées, leur parlant un langage approprié à leur ignorance, et les imprégnant des doctrines qu’il importait au pouvoir central de faire pénétrer jusqu’aux extrémités. Le peuple écoutait avec curiosité ces prédicateurs qui venaient de loin, avaient beaucoup vu, et par cela même imposaient aux esprits ignorans ; mais à ce corps volant d’auxiliaires il se mêla bientôt des élémens ennemis. Tels furent deux sectaires vaudois qui ont laissé un nom et dont on peut suivre la course vagabonde, Pierre de Bruis et Henri, surnommé le Faux Ermite. Ils sortirent tous les deux de la région des Alpes au commencement du XIIe siècle, le premier du versant français, de la Vallouise, où un pape avait signalé l’hérésie quelques années auparavant, le second du versant opposé, ce qui l’a fait nommer l’Italien. Ils partirent ensemble, selon la discipline