Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/472

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propagea les mêmes doctrines, mais avec sa modération accoutumée. Arrêté par l’archevêque d’Arles et jeté en prison, ses disciples le firent évader, et il reparut bientôt sur la scène, plus hardi cette fois, plus résolu à opposer son idéal de perfection et de simplicité apostoliques aux mœurs et aux doctrines de l’église, plus protestant en un mot. C’est alors qu’on lui opposa un homme éloquent, saint Bernard, célèbre par la victoire qu’il venait de remporter sur Abélard. Le saint ne ménage pas son adversaire dans ses sermons et dans ses lettres ; il s’attaque non-seulement à ce qu’il appelle son hérésie, mais à sa personne, à sa vie privée, et attribue à des poursuites pour mauvaises mœurs le brusque départ d’Henri de plusieurs villes. Les deux bénédictins qui ont écrit l’histoire du Languedoc font honneur à l’abbé de Clairvaux d’avoir arrêté les progrès du sectaire. Ce qui est plus certain, c’est qu’il le fit arrêter lui-même et jeter dans une prison, où il mourut de vieillesse et d’épuisement après quarante ans de travaux. Quant à sa doctrine, elle avait si bien pris racine dans le midi, qu’elle ne devait en être arrachée que par l’épée des croisés et la torche des inquisiteurs.

Au même courant de doctrines descendu des Alpes appartient Pierre Valdo, le Valdensis ou le Vaudois, le plus célèbre des sectaires du moyen âge. Les écrivains orthodoxes, trompés par les noms, ont fait de Pierre Valdo le Moïse et le fondateur de la secte vaudoise. On vient de voir que l’existence de la secte était de beaucoup antérieure à la manifestation religieuse de l’hérésiarque lyonnais. Il n’a commencé à prêcher qu’en 1170, c’est-à-dire presque un siècle après que les Alpes cottiennes ont été signalées comme le lieu de refuge d’une hérésie ancienne. Le nom même de vaudois était connu avant lui, ainsi qu’on le voit par ce vers de la Nobla Leyczon :

Ilh dion, qués vaudès e digne de punir.


À ce nom, l’opinion populaire attachait les significations les plus odieuses, celles de sorcier, d’hérétique, d’abominable. Parmi les griefs qui figurent dans le réquisitoire de l’université de Paris contre Jeanne d’Arc, il y a celui d’être une vaudoise. La racine de ce mot n’est point Valdo, mais vallée ou vaux. Valdenses dicti sunt a valle densa, dit Bernard de Foncald, écrivain du XIIe siècle. Pierre de Lyon a reçu son nom de la secte dont il avait propagé les doctrines sur le cours du Rhône ; il a été appelé le Vaudois, mot dont les écrivains de la basse latinité ont fait le nom propre de Valdensis ou Valdo. Il puise du reste au même courant d’idées que Pierre de Bruis et Henri. Comme eux, il aspire à rebâtir la cité chrétienne des premiers jours ; comme eux, il veut chasser du sanctuaire les dogmes et les cérémonies qui lui paraissent de formation récente.