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réserve une arme puissante dont il se servirait pour confondre toutes les machinations du congrès. En vertu du droit de grâce qu’il tenait de la constitution, il pouvait d’un jour à l’autre accorder aux hommes du sud une amnistie générale qui les rétablirait dans l’exercice de tous leurs droits. C’était la seule de ses prérogatives souveraines qu’on n’eût pas eu l’idée de lui ravir. Dès sa première séance, la chambre des représentans vota par 111 voix contre 29 un bill qui retirait au président le droit d’amnistie pour le confier à un comité du congrès.

Le président tenait particulièrement à écarter les noirs des élections : leur avènement au droit de suffrage aurait été la ruine du parti démocratique dans la plupart des états du sud. Une fois investis du pouvoir politique, les affranchis n’avaient qu’à s’unir aux républicains épars pour former une majorité puissante et dicter la loi à leurs anciens maîtres. M. Johnson soutenait d’ailleurs que chaque état devait rester juge de la franchise électorale, et le congrès lui-même avait admis cette doctrine en proposant l’amendement ; mais dans le district de Colombie le congrès était législateur et maître, et il pouvait y donner le bon exemple sans commettre aucune usurpation. Le suffrage des noirs fut imposé au district de Colombie par l’autorité du congrès. En vain la population blanche protesta au dehors par un vote unanime à l’heure même où les législateurs réglaient pour elle ses destinées ; le vote souverain du Capitole l’emporta sur le vœu de l’opposition populaire, et le président Johnson eut le chagrin de voir appliquer dans sa capitale, à la porte même de sa maison, le régime qu’il avait tant combattu.

Enfin les deux territoires du Colorado et du Nebraska furent admis au nombre des états, mais à la condition solennelle de n’établir chez eux, pour cause de race ou de couleur, aucune distinction ni dans les droits politiques ni dans les droits civils. Cette mesure, qui assurait aux républicains plusieurs voix nouvelles et qui attachait à leur parti deux états pleins d’avenir, n’était pas faite pour déplaire à la majorité du congrès ; mais elle engageait d’avance la liberté de l’opinion populaire et par là touchait à ce droit des états, toujours si cher en Amérique à ceux même qu’on accuse de vouloir le détruire au profit du pouvoir fédéral. Aussi les républicains modérés la repoussèrent-ils une première fois. Il fallut que M. Thaddeus Stevens revînt leur lancer lui-même un de ces coups de fouet vigoureux que le vieux tacticien sait appliquer si à propos à ses partisans irrésolus. Il eut d’ailleurs un plein succès ; la question préalable fut prononcée, et le bill voté sans discussion. Le président subissait tous ces affronts sans pouvoir y rien