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l’hostilité systématique qu’Andrew Johnson avait montrée à toutes les volontés du congrès, au risque de soulever de nouveau la guerre civile et de rendre impossible la pacification du pays. Le crime du président était un crime exclusivement politique, et c’est à une nécessité politique impérieuse que les républicains auraient obéi en le dépouillant de son pouvoir. C’était leur droit et même leur devoir de faire respecter par un magistrat indocile cette souveraineté populaire dont ils étaient les représentans.

À ces raisons générales venaient se joindre des motifs particuliers et des intérêts de parti qui n’étaient pas sans valeur. Le congrès s’était trop engagé pour revenir en arrière, ou même pour s’arrêter à moitié chemin. Provoqués si longtemps par un orgueilleux adversaire, les républicains se voyaient obligés de le poursuivre à outrance ; c’était pour eux plus qu’une question d’honneur ou de succès, c’était presque une question d’existence et de sécurité. Pour le moment, les anciens modérés se laissaient entraîner avec les autres : M. Bingham, leur chef naturel, qui aurait pu aspirer à une grande influence, comprenait que ce n’était pas le moment de former un tiers-parti dans la chambre, et que tout devait céder à la nécessité d’abattre l’ennemi commun. Plaider la patience, la modération, le respect de la dignité présidentielle, c’était à présent trahir son mandat, passer aux démocrates et céder la victoire aux rebelles. De toutes les mesures que les radicaux avaient proposées, l’accusation du président était peut-être celle qui rencontrait le moins d’opposition dans la chambre. Chacun sentait qu’une action prompte et vigoureuse pouvait seule entretenir la confiance et l’énergie du parti. Si le succès se faisait attendre, les hommes prudens et timides qui composent par tout pays les majorités gouvernantes commenceraient à s’effrayer de leur audace et à se retirer doucement de la mêlée. Si l’on voulait garder l’avantage et le rendre durable, il fallait frapper vite et ôter à l’ennemi le pouvoir de nuire. Un parti qui temporise est un parti perdu.

Le président le comprenait à merveille, et c’est là-dessus qu’il fondait ses espérances. Par ses veto systématiques, par ses résistances calculées, par l’apparente modestie de son langage, il ne cherchait qu’à gagner du temps et à faire durer son pouvoir jusqu’à la dissolution, suivant lui très prochaine, du grand parti républicain. Il employait ce temps de grâce à se ménager des alliances, à répandre la discorde, à encourager les défections, à susciter au congrès des complications et des inimitiés nouvelles. Ce fut par ses soins que la cour suprême secoua l’influence de son chef, M. Chase, et se mit à rendre des arrêts qui prêtaient une apparence de légalité à l’insubordination du président.

On sait quel est aux États-Unis le rôle important de la cour