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maintenant à les suivre. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir les immenses progrès de la politique républicaine. Quelle distance elle a parcourue en moins de cinq ans, depuis la proclamation d’émancipation du président Lincoln, qui faillit lui coûter la présidence, jusqu’à l’amendement constitutionnel voté l’année dernière aux applaudissemens du peuple ! Qu’il y a loin de cet amendement lui-même au programme adopté cette année par le congrès ! Il ne s’agit plus seulement d’affranchir l’esclave et de lui assurer le plein exercice des droits civils, il ne s’agit même plus d’exclure des fonctions publiques quelques anciens serviteurs du gouvernement rebelle. La question qui se pose partout aujourd’hui, au succès de laquelle les radicaux ont attaché leur fortune est celle du suffrage universel des noirs et de leur avènement immédiat à tous les pouvoirs. L’amendement constitutionnel permettait encore aux gouvernemens des états de leur accorder ou de leur refuser le droit de suffrage, suivant qu’ils y verraient un avantage ou un danger. Aujourd’hui la dictature militaire les y appelle tous indistinctement, sans acception de richesse, ou de lumières, dans toute l’étendue des états du sud ; Thaddeus Stevens annonce qu’il va faire voter au congrès une mesure générale pour établir le suffrage universel sans distinction de race ni de couleur dans tous les états de l’Union. Des assemblées constituantes nommées sous l’influence radicale ont déjà pris les devans dans plusieurs des états du nord, et elles ont recommandé au peuple l’adoption du suffrage des noirs ; la convention du Kansas a même proposé d’y ajouter celui des femmes. Tout en nommant un gouverneur et une législature, le peuple de l’Ohio avait à décider sur le sort d’une constitution nouvelle qui accordait le suffrage aux noirs, et qui a été repoussée à la majorité énorme de 50,000 voix. Voilà la question qui domine l’élection tout entière, et à laquelle les républicains doivent attribuer sans aucun doute la défaite apparente qu’ils viennent d’essuyer.

Ce n’est pas d’ailleurs la première fois que le parti républicain menace ruine. Toutes les fois qu’il a fallu faire un pas décisif, on l’a vu reculer d’abord comme pour mieux prendre son élan. En 1862, lors de la proclamation qui appelait 5 millions d’esclaves à la liberté, ce même état de l’Ohio, qui en définitive lui reste encore fidèle, donnait à ses adversaires une majorité de 5,000 voix l’année suivante, les républicains l’emportaient de 101,000 voix sur les démocrates. Peut-être une révolution pareille n’est-elle pas maintenant bien éloignée ; peut-être le temps est-il proche où, suivant les graves paroles de M. Sumner au congrès, « le sénat des États-Unis devra introduire et saluer dans son enceinte une nouvelle classe de sénateurs noirs. »