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députations démocratiques se succèdent à Washington, apportant au ministère de la guerre les présens et les promesses de l’ennemi, de grands meetings républicains s’organisent par toute la contrée pour proclamer d’avance la candidature du général Grant. Pourtant les chefs radicaux, dont il contrarie l’ambition personnelle et qui ne voient pas en lui le fidèle représentant de leurs doctrines, voudraient lui opposer un homme d’opinions plus vives, soit M. Summer, soit M. Chase, soit même M. Stanton ou M. Wade. M. Sumner est un homme convaincu, courageux, intègre, plein de sentimens élevés, mais que ses opinions inflexibles rendent impropre au rôle de conciliateur entre les partis ; M. Wade est un esprit généreux, mais violent, un visionnaire éloquent prêt à donner dans toutes les chimères. M. Chase était jusqu’à présent le candidat favori des radicaux ; ils annoncent qu’ils ne l’abandonneront pas pour un homme sans opinions et sans principes, et, comme l’appelle Wendell Phillips, pour cette « moitié d’homme » qui n’a pas une idée, pas une volonté qui soit à lui. Ils déclarent qu’il vaut mieux succomber en élevant haut sa bannière que de réussir en l’abaissant devant l’ennemi ; mais le peuple a trop de bon sens pour partager le rigorisme des théoriciens qui se flattent de le conduire : les républicains nommeront le général Grant avec ou sans l’appui des radicaux.

Le voilà donc à présent maître absolu de l’opinion publique et arbitre souverain des partis. Il a cette bonne fortune bien rare de tenir dans sa main toutes les chances de l’élection prochaine. La question est posée non plus entre Johnson et Grant, ou même entre Grant et un candidat ultra-radical, mais entre Grant patronné par les démocrates et Grant resté fidèle aux républicains. La Victoire appartient d’avance à celle des deux factions qui saura captiver la préférence et s’assurer la possession du taciturne et impénétrable grand homme. Chacune se vante d’avoir obtenu de lui des promesses et des preuves suffisantes de sa bienveillance, et aucune ne peut citer un mot de lui qui engage expressément sa parole. C’est en vain qu’on recueille tous ses propos, que l’on commente tous ses actes, qu’on l’entoure même d’espions et d’observateurs cachés ; rien n’annonce qu’il ait pris encore une résolution positive sur la question qui tient en suspens la république entière. Tout ce qu’on peut prédire avec certitude, c’est que, s’il arrive à la présidence, et quel que soit le parti qui l’y pousse, il se servira du pouvoir non pour humilier ni pour abattre un des partis, mais pour consolider et modérer tout à la fois l’ancienne influence républicaine. S’il est élu par les républicains, ce sera un républicain conservateur non moins contraire aux radicaux qu’aux esclavagistes ; s’il est élu par les