Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est encore qu’à moitié faite. Il a eu bien des privilèges, gros et petits, à démolir. Il a eu à assurer, en dépit de la couronne et de l’aristocratie, la sincérité et l’équité de la représentation nationale ; à deux reprises, il s’y est appliqué avec succès : en 1832 sous lord Grey, en 1867 sous lord Derby et M. Disraeli, et l’œuvre n’est pas complète, quoiqu’on soit en ce moment dans une sorte de stupéfaction de ce qu’on a accompli cette année même. On trouve dans le livre de M. Fischel une masse de renseignemens montrant qu’il n’est aucune des libertés dont jouit l’Angleterre aujourd’hui qui ne lui ait été disputée avec violence, qu’elle n’ait eu à conquérir à travers des dangers, à une époque qui n’était pas celle de la barbarie, car presque en aucun cas il ne s’agit de remonter à plus de trois siècles. Une des libertés les plus indispensables et présentement les mieux acquises en Angleterre et, il n’est pas superflu de le dire, jusqu’à un certain point chez nous-mêmes, c’est assurément le droit, pour tout orateur, de dire au parlement ce qui lui paraît utile[1]. Combien de fois, sous les Tudors, des orateurs qui avaient cru pouvoir parler avec franchise ont été mis à la Tour ! En 1571, le garde des sceaux, Bacon, avertit les communes de ne pas se mêler d’affaires d’état, « qui ne les regardaient point, » ajoutait-il. En 1576, Pierre Wentworth fut, pour des discours d’opposition, traduit devant une commission extraordinaire du conseil privé et mis en prison. Vers le même temps, un député du nom de Morrice fut, à la poursuite de la couronne, arrêté par le sergent d’armes (officier de la chambre même des communes) et enfermé à la Tour pour avoir présenté un bill contre la juridiction du clergé. En 1593, Elisabeth répondit à l’orateur des communes qui venait la prier, comme d’habitude, de permettre à la chambre de s’expliquer avec une entière franchise, que la liberté de la parole consistait à pouvoir dire oui ou non. En 1621, le parlement ayant engagé Jacques Ier à intervenir contre l’Autriche et à ne pas marier son fils avec une princesse espagnole, le roi lui défendit de se mêler de choses pareilles ; la chambre ayant protesté de son droit, le roi déchira la protestation et en fit jeter à la Tour les promoteurs. Ce prince ne se gênait pas pour soutenir, au nom de l’absolutisme théocratique et du droit divin des rois, que tous les privilèges du parlement étaient des faveurs révocables. Voulez-vous parler de la libre défense des accusés, des droits qui aujourd’hui leur sont reconnus en

  1. C’est cette liberté que le gouvernement prussien, en ce moment même, a l’imprudence de contester aux membres du parlement national, et qui a donné lieu au procès intenté par le gouvernement à un membre distingué de la chambre des députés, M. Twesten. De la part d’un gouvernement qui a la prétention de passer pour ami de la liberté, c’est une bévue énorme, outre que c’est un attentat contre le droit des assemblées politiques.