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les membres de la législature ne puissent être poursuivis ni inquiétés pour les paroles qu’ils auront prononcées ; un droit de suffrage étendu pour l’élection des députés ; la liberté de conscience traduite par la liberté des cultes et leur égalité devant la loi ; l’inamovibilité de la magistrature ; la liberté du travail ou libre exercice des professions ; la propriété protégée, de sorte que nul n’en puisse être dépouillé sans une juste et préalable indemnité ; la liberté de la presse sous la réserve de la responsabilité des écrivains en cas de certains manquemens définis par la loi. Ces règles sont uniformes partout ; elles ne sont pas en termes plus positifs dans les lois du peuple anglais que dans celles des autres peuples du continent. L’Angleterre même est ou semble être inférieure aux continentaux à quelques égards : c’est ainsi qu’elle a une église établie, possédant certains privilèges à l’exclusion des autres. De même chez elle le droit de suffrage, quoiqu’il vienne d’être fort élargi, est plus restreint que chez nous, dans la proportion de 1 à 4 ou à 5. Enfin il y a beaucoup de cas en Angleterre où le texte de la loi est muet et même offensif pour les franchises nationales, et où il a pour correctif unique la coutume, à laquelle une loi bien formulée serait préférable. Mais l’Angleterre retrouve l’avantage au point de vue de la liberté dans la manière de se servir de ces principes salutaires et dans l’organisation pratique qu’elle a su leur donner. J’en citerai deux exemples à l’occasion de deux grandes institutions publiques, la magistrature et l’armée.

Par l’organisation qui lui est propre, la magistrature anglaise est un des plus solides boulevards des libertés publiques. Elle a d’abord cette supériorité sur les magistratures du continent, qu’aucune cause ne lui reste étrangère. On ignore totalement en Angleterre la distinction entre la juridiction civile et la juridiction administrative. Ce que nous appelons les conflits n’existe pas chez les Anglais. L’administration est justiciable des tribunaux aussi bien que le plus modeste des particuliers. Aucune contestation, de quelque nature qu’elle soit, n’est dérobée par le droit anglais à la décision judiciaire ; à plus forte raison les Anglais n’ont rien de pareil à l’article 75 de la constitution de l’an VIII, d’après lequel il faut la permission du conseil d’état pour poursuivre un fonctionnaire ou le mettre en cause. Voilà déjà pour les citoyens des garanties considérables ; mais ces garanties perdaient de leur puissance, si l’on n’assurait parfaitement l’indépendance des juges, et c’est ici que la coutume est venue, comme un génie bienfaisant, associer son autorité à celle des règles insérées dans le texte de la loi. En principe, la base de l’indépendance du juge anglais réside dans l’inamovibilité dont il est investi ; toutefois il ne suffit pas, on nous l’accordera bien, en théorie pour le moins, que le juge soit