Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nation est parfaitement une. La chambre des pairs d’Angleterre a si peu l’esprit d’exclusion que les nouveaux membres, fussent-ils fils d’un artisan ou d’un laboureur, y sont aussitôt sur le même pied que les anciens, traités en égaux par ceux-ci. On sait que dans les noblesses du continent le nombre des quartiers établissait des distinctions profondes, et que chez nous par exemple la noblesse d’épée affectait de dédaigner la noblesse de robe. Une autre particularité de l’aristocratie anglaise, et celle-ci de grande portée aussi, c’est que ses descendans ne conservent dans leurs noms rien qui les tranche du reste de la nation, comme le ferait un titre ou une simple particule, le de des Français, le von des Allemands, le van des Hollandais. Les fils d’un membre de la chambre des pairs ne sont autorisés par aucune loi à s’attribuer un titre nobiliaire. L’usage a toléré qu’à la première génération un titre de ce genre leur soit accordé lorsque le rang du père est élevé, et même cette distinction, toute nominale et de pure courtoisie, n’existe pas pour les pairs les plus nombreux, ceux dont le titre est la baronie. D’ailleurs à la seconde génération tout le monde rentre dans le flot populaire. Le petit-fils du duc de Norfolk, ou de Bedford, ou de Devonshire, s’il n’est l’aîné ou le fils de l’aîné, s’appelle M. Howard, M. Russell ou M. Cavendish. À ce compte, chez nous toute la descendance d’un duc de Montmorency, à partir de la troisième génération et sauf l’aîné, s’appellerait M. Bouchard tout court : on sait que c’est le nom patronymique de cette famille, dont la noblesse est si ancienne, et si je la choisis pour exemple, c’est parce qu’elle est illustre entre toutes. En France, où la noblesse a été abolie deux fois, où la qualité de prince, de duc, comte ou baron ne confère aucune attribution politique et ne donne le droit de siéger dans aucun corps, pas même dans un conseil municipal de village ; chez nous, où le sénat, qualifié par la constitution de premier corps de l’état, se compose en très grande partie de simples roturiers ou d’hommes qui l’étaient hier, il reste aux personnes d’origine noble ou supposée telle une dénomination qui les range tout à fait à part et semble en former une caste privilégiée. Ainsi, en supposant qu’un duc eût cinq ou six enfans mâles et que chacun d’eux procréât dans la même proportion, on verrait au bout de quelques générations des centaines, peut-être des milliers de gens titrés portant le même nom, avec la seule variante que les uns seraient marquis, les autres comtes, ceux-ci vicomtes, ceux-là barons, et d’autres je ne sais quoi plus. Les moins bien partagés auraient la particule. La mode s’est même établie parmi nous que, du vivant du père, les fils portent le même titre que lui. A coup sûr, dans l’état présent de nos mœurs, ce qui résulte chez nous de ces usages plus ou moins légaux n’est pas l’établissement d’une caste, c’est