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tiers-état. A force de vouloir faire bande à part, elle a de ses mains préparé l’arrêt qu’à la fin Sieyès formula aux acclamations du public : le tiers-état doit être tout.

Et pourtant, telle est de nos jours la force du courant égalitaire, que le privilège en vertu duquel quelques personnes sont investies de la puissance législative par droit d’hérédité cause, en Angleterre, de l’hésitation à ceux qui le défendent. Vainement ils se font à eux-mêmes, comme pour s’encourager, cette observation, qu’une sorte de puissance occulte restreint sans cesse les effets du privilège héréditaire, que la mort frappe à coups redoublés sur les privilégiés de manière à faire disparaître non-seulement les individus, mais les familles, si bien que, pour maintenir le nombre de la pairie, il faut y appeler sans cesse de nouveaux membres puisés dans les sommités intellectuelles du pays, parmi les hommes de talent ou les serviteurs éprouvés de la patrie. On trouve que ce n’est pas assez. M. Bagehot, en cela organe d’un grand nombre d’Anglais éclairés, est d’avis qu’il faut faire à l’aristocratie moderne, celle de l’intelligence et des services, une part plus large encore. C’est en ce sens qu’il conseille, comme une innovation dont le moment est venu, de placer à côté des pairs héréditaires, dans la chambre des lords, des pairs à vie. Le gouvernement lui-même a voulu entrer dans cette voie, il l’a tenté du temps de lord Palmerston. La chambre des pairs, ainsi qu’il lui arrive presque toujours quand une réforme se présente pour la première fois, manifesta sa répugnance, et le gouvernement ne crut pas devoir insister ; mais l’idée a été lancée, elle a fait son chemin. Dans ces derniers temps, elle a été reproduite par les journaux les plus accrédités, et il est vraisemblable qu’elle triomphera. De même a sonné l’heure suprême du privilège exorbitant qu’a possédé jusqu’ici la pairie anglaise de voter par procuration. S’il a quelque commodité pour les membres paresseux ou indifférens, il était devenu blessant pour le public, et il nuisait à l’éclat et à l’autorité des délibérations de la chambre. Cette année, par une modification de son règlement, elle l’a affaibli à ce point que c’est le supprimer.

Aux yeux de M. Bagehot, quelque importance que possède la chambre des communes, quelle qu’en soit l’influence, ce n’est pas l’étendue de ses attributions qui donne à la constitution anglaise son caractère. Le propre de cette constitution, ce qui la distingue autant du système américain que du système français de 1852, c’est que le pouvoir réside effectivement dans un corps nommé le cabinet, placé lui-même sous l’autorité d’un homme, d’un seul, le premier. Ce corps représente avec son chef une unité, un tout, une pensée unique. M. Bagehot cite à ce sujet un mot de lord Melbourne, qui, un jour que le cabinet discutait une question épineuse, dit à ses