Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Prenez un quelconque de ces états, supposez-y une opinion publique vacillante ou molle ; le pouvoir ira d’hésitation en hésitation, ballotté au gré des vents ; un souverain ambitieux ou entreprenant aura peu de peine à substituer son autorité à celle du parlement. Supposez-la vicieuse, lâche ou corrompue : le gouvernement sera sans contrôle sérieux ; mais il cédera au torrent de la corruption : les intrigans se disputeront le pouvoir, et à la fin Tibère ou Séjan sera le maître. Supposez-la éclairée, vigilante et résolue, les ministres devront marcher droit sous peine d’être renversés, et ces renversemens se feront sans offrir aucun des caractères des révolutions ; l’empire appartiendra à la loi et à la liberté ; mais pour qu’il en soit ainsi, il faut à l’opinion ces précieuses qualités : les lumières, la vigilance, la fermeté.

En Amérique, le mécanisme est moins élastique qu’en Angleterre, et les chances d’un froissement entre les différens pouvoirs constitués sont bien plus grandes. Le président nomme les ministres, mais ceux-ci, quelque talent qu’ils aient, ne sont que les agens irresponsables du premier magistrat ; ils n’ont pas besoin d’être agréables au congrès, ils n’ont aucune action sur lui, aucun rapport avec lui. Le président lui-même peut différer d’avis avec les deux chambres ; cela s’est vu souvent, c’est le cas aujourd’hui, par exemple, où entre lui et le congrès il y a guerre ouverte, presque une guerre à mort. La contestation alors n’a pas de dénoûment légal, pas même devant l’opinion publique, puisque le président n’a pas la faculté de dissoudre le congrès. C’est donc un système d’une grande rigidité et d’un maniement difficile pour peu que les passions s’en mêlent ; chacun tire de son côté et l’on se contrarie tant qu’on peut, jusqu’à ce qu’il plaise au congrès de mettre le président en accusation, ressource tellement extrême qu’on ne peut guère dire que ce soit une issue. Aussi n’a-t-elle jamais été employée effectivement. C’est une des raisons pour lesquelles les hommes éminens qui firent la constitution voulurent que la chambre populaire du congrès, celle qui est la plus accessible aux passions, la chambre des représentans, n’eût que deux ans de durée ; mais l’expédient, tout en étant utile, reste encore insuffisant.

Dans la constitution française de 1852, les chances d’un conflit sont moindres que dans la constitution des États-Unis. Le pouvoir réside effectivement non dans les mains d’un chef du cabinet, mais dans celles de l’empereur, qui peut changer les ministres à son gré. Primitivement les ministres n’avaient aucun besoin de plaire au corps législatif, puisqu’ils ne paraissaient jamais devant lui. Aujourd’hui, ils y viennent presque tous officiellement, mais ils n’émanent pas de lui, ils ne peuvent en être membres, ils ne sont pas ses hommes, et il est presque impossible qu’ils soient désignés par