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Bretagne dut la préoccuper vivement. Une lettre du roi fit défense aux deux compétiteurs d’assister aux états, ce qui n’empêcha point le duc de Rohan d’entrer à Nantes accompagné d’une escorte tumultueuse. Cette lettre leur prescrivit de congédier les gentilshommes dont ils se faisaient suivre, d’attendre pour le fond du différend la décision définitive du parlement et les arrêts du conseil ; enfin ces deux seigneurs n’apprirent pas sans surprise qu’ils étaient consignés aux mains d’un exempt des gardes jusqu’à la clôture des états[1]. Pour mettre fin à tous ces débats, les membres de la noblesse reçurent du roi l’ordre de choisir eux-mêmes leur président, sans tirer d’ailleurs à conséquence pour l’avenir. Cette disposition fort sensée parut d’abord contrarier vivement le maréchal de La Meilleraye, tout entier aux intérêts du duc de La Trémouille. Il ne se borna pas à conseiller à celui-ci de persister dans sa poursuite, encore qu’il fût déjà officieusement convié par le roi à l’abandonner ; le maréchal engagea à Nantes contre M. de Rohan une lutte des plus violentes. Le duc se promenait dans la ville escorté de 200 gentilshommes tapageurs, qui n’épargnaient au gouverneur de la province ni les insultes ni les menaces. Ayant pris ses dispositions militaires dans la nuit, M. de La Meilleraye fit enlever un matin M. de Rohan par ses gardes, puis, après l’avoir fait conduire hors) de la ville, il lui défendit d’y rentrer sous peine de mort. Cette mesure serait d’ailleurs trop justifiée, s’il était vrai, comme le prétend la chronique nantaise, que la duchesse de Rohan, ayant rencontré la veille le maréchal sur une place publique, lui aurait imprimé à la face un de ces affronts que la main d’une femme peut seule appliquer impunément ; mais le maréchal n’était pas au bout de ses épreuves. Pour prix de son zèle, la maison de La Trémouille lui en réservait une dont il n’avait pas prévu l’amertume. Pendant que M. de La Meilleraye réunissait à Nantes pour l’ouverture des états tous les gentilshommes sur lesquels il croyait pouvoir compter et qu’il écrivait à la cour afin d’obtenir que, revenant sur un ordre antérieur, elle permît à la noblesse de

  1. « Mon cousin, vous ayant déjà donné avis de l’arrêt donné en mon conseil portant renvoi au parlement de Bretagne du différend que vous avez avec mon cousin le duc de Rohan touchant la présidence de la noblesse aux états de la province, et fait commandement de congédier tous ceux dont vous vous faites accompagner et qui ont pris engagement avec vous en cette occasion, et voulant vous faire plus particulièrement connaître ma volonté. Je vous envoie le sieur de Saint-Laurent, exempt des gardes de mon corps, pour vous la faire savoir et se tenir auprès de vous et vous accompagner durant tout le temps de votre poursuite audit Rennes. Vous donnerez donc créance à tout ce que le sieur de Saint-Laurent vous dira de ma part, et vous l’exécuterez ponctuellement. Sur ce, je prie Dieu, etc., Louis. Et plus bas, Loménie, le 27 août 1651. » Je dois la communication de cette lettre et de celle qui va suivre à M. le prince de La Trémouille, qui a mis la plus parfaite obligeance à m’ouvrir les riches archives de sa maison.