Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si je ne comptais pas ce petit article, les autres ne l’oublient pas, c’est le premier. »

Ce tableau laisse toutefois dans l’ombre des côtés fort importans. Si la soumission des états à la volonté royale était alors à peu près complète, cette soumission était due à des moyens ignorés de Mme de Sévigné, mais aujourd’hui constatés par la correspondance officielle des agens du pouvoir. Ces moyens étaient de ceux dont la puissance est grande dans tous les temps ; cependant l’efficacité n’en était pas telle que l’honneur breton n’y résistât énergiquement, et que l’indépendance assoupie de la province ne pût laisser pressentir un réveil. Dans les lettres adressées au contrôleur-général soit par les commissaires du roi, soit par le gouverneur et le lieutenant-général, on suit jour par jour la trace des pratiques exercées sur les membres de l’assemblée. Indépendamment des faveurs personnelles que le gouverneur est en mesure de répandre sur messieurs des états, faveurs qui lui assujettissent presque complètement les membres de l’église et du tiers, un fonds secret de 60,000 livres est destiné à récompenser les membres de la noblesse qui « y servent le mieux, le roi[1]. » Les menaces sont encore plus prodiguées que les rémunérations. M. le duc de Mazarin, dont la courte administration laissa pourtant dans la province de bons souvenirs, déclare aux députés rassemblés chez lui a qu’il saura qui sont ceux qui engagent la province à manquer en quelque chose à ce qu’elle doit au roi, et que sa majesté les pourra traiter selon leur mérite[2]. » M. le duc de Chaulnes a recours à des procédés plus décisifs. Lorsqu’aux états de Vitré il voit que la fermentation augmente à l’occasion des édits, il s’enquiert du nom des membres qui l’entretiennent, et il les chasse. « Les états ont eu hier beaucoup d’emportement de se voir refuser des offres qu’ils croyaient pouvoir plaire à sa majesté. Je fais dessein de chasser demain de l’assemblée deux gentilshommes qui ont aujourd’hui parlé avec le plus de chaleur, n’étant pas à croire, monsieur, par tout ce que nous voyons ici, que l’on puisse par autre voie que par des exemples redoublés d’autorité régler des esprits d’autant plus opiniâtres qu’ils croient ne le pas être, en offrant tout ce qu’il plaira au roi pour se racheter des exécutions quelquefois très rudes, il est vrai, des édits. Nous n’omettons rien ici de tout ce qui peut assurer l’autorité du roi[3]. » Le lendemain en effet, M. le gouverneur mande

  1. Colbert à son frère, maître des requêtes et commissaire aux états de Bretagne, 3 et 10 août 1663. — Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, t. Ier, p. 469 et suiv.
  2. Colbert, maître des requêtes, au contrôleur-général. Vitré, 19 août 1665.
  3. Le duc de Chaulnes à Colbert, 10 décembre 1673.