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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/711

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Il est encore un principe qui domine de haut les combinaisons savantes des théoriciens, et qui survivra toujours, en dépit des modifications que l’art de la guerre subirai dans ses détails par le fait des nouvelles inventions ; Lorsqu’une » armée entre en campagne, le but principal du commandant en chef doit être de combiner toutes ses manœuvres et les mouvemens des différens corps, de manière à forcer l’ennemi d’accepter le combat au jour et au lieu qu’il aura choisis, et à diriger d’avance sur ce point des forces supérieures. C’était le grand secret de Napoléon. De même dans une rencontre d’escadre à escadre l’art du chef consistait autrefois à réunir le plus grand nombre possible de canons sur un même point du champ de bataille pour écraser successivement les vaisseaux ennemis par la supériorité du nombre ; de même encore aujourd’hui, avec les nouvelles escadres de béliers à vapeur, le principe dominant des manœuvres sera de réunir à un moment voulu plusieurs éperons contre un seul. Il est évident qu’il sera toujours très difficile à un navire d’éviter le choc lorsqu’il aura affaire à deux adversaires qui arriveront presque en même temps sur lui avec des directions différentes. Au temps des anciennes escadres à voiles, il était presque impossible à un vaisseau isolé de traverser ennemie sans s’exposer à être serré de près par deux adversaires qui auraient pu l’arrêter dans sa marche, et, en l’accostant bord à bord, l’enlever presque à coup sûr à l’abordage ; la direction du vent venait en outre s’opposer bien souvent à cette manœuvre. Aujourd’hui, grâce à la puissance de leurs machines, nos bâtimens, lancés à toute vitesse, ne peuvent plus être enlevés d’assaut. Bien loin de songer à leur barrer le passage, les navires ennemis qu’ils rencontreront sur leur route seront forcés de leur céder la place et de se ranger pour se préserver du choc de l’éperon. Il sera donc très facile à un bâtiment isolé de franchir une ligne de vaisseaux ennemis, quand elle ne sera pas soutenue par d’autres vaisseaux placés en arrière, et une escadre formée en bon ordre pourra presque sans danger traverser même plusieurs lignes, si elle a ses bâtimens groupés de manière que le flanc de chacun d’eux soit défendu par l’éperon de son matelot de combat[1]. L’art du chef consistera donc à diviser ses vaisseaux en deux ou trois groupes, et à les faire évoluer séparément jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion de les précipiter à la fois sur l’ennemi. Celui-ci ne saura plus alors quelle route prendre pour éviter le choc qui lui sera présenté en même temps par l’avant et par le travers. Les vaisseaux

  1. Ce terme sert à désigner l’un ou l’autre de deux vaisseaux chargés de se défendre réciproquement dans une bataille.