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matelots qui sera toujours indispensable pour armer nos vaisseaux. Malgré ces difficultés réelles que rencontrera toujours dans notre pays l’entretien d’une puissante marine de guerre, si nous jetons un coup d’œil rétrospectif sur notre passé maritime, nous reconnaîtrons sans peine que la France ne s’est jamais laissé devancer par les autres puissances, et que sa marine militaire a toujours su atteindre, degré de perfectionnement que ses rivaux n’ont jamais surpassé que par le nombre de leurs bâtimens.

Grâce à l’habile direction du génie de Colbert, notre puissance maritime marchait de pair sous Louis XIV avec celle de l’Angleterre, et ce siècle, qui fut si fécond en grands hommes de tout genre, ne le fut pas moins en marins illustres, témoin Duquesne, Duguayt-Trouin et Jean-Bart. Il ne fallut rien moins que les efforts combinés de la Hollande et de la Grande-Bretagne pour triompher de nos flottes, qui furent écrasées à La Hogue beaucoup plus par la supériorité numérique que par la valeur. Sous Louis XVI, notre marine s’était déjà relevée de ce terrible désastre, nos escadres comptaient plus de quatre-vingts vaisseaux armés, et elles contrebalançaient l’influence anglaise en Amérique. Les guerres maritimes de la révolution et de l’empire n’ont été pour nous qu’une série de douloureux revers ; cependant à cette époque notre matériel naval était bien supérieur à celui des Anglais, dont les meilleurs vaisseaux n’étaient souvent autres que ceux qu’ils avaient conquis sur nous : ils les faisaient entrer dans leurs escadres, ils les prenaient comme modèles de leurs nouvelles constructions. Malheureusement le personnel de notre marine était alors, de la base au sommet, dans un complet état de désorganisation : non-seulement l’émigration lui avait enlevé tous ses chefs, mais la France ne pouvait plus recruter le nombre de matelots dont elle avait besoin. Armés à la hâte, avec des équipages à moitié composés de conscrits qui n’avaient même pas vu la mer, nos flottes ne pouvaient pas résister à celles de Nelson, dont les marins étaient formés depuis longtemps par de longues et pénibles croisières aux rudes labeurs du métier. Criblés de boulets après un combat acharné où ils perdaient quelquefois les deux tiers de leurs hommes, nos vaisseaux étaient forcés de se rendre sans avoir réussi à faire éprouver à l’ennemi de dommages sensibles. En marine, le courage des hommes ne pourra jamais suppléer que très imparfaitement à l’intelligence des chefs et à l’instruction des matelots. Nul doute qu’à cette époque, si nos bâtimens avaient été montés par des équipages analogues à ceux que nous possédions en 1856 au retour de la guerre de Crimée, la fortune des combats ne nous eût été plus souvent favorable. La marine française était parvenue alors à son apogée, notre