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Cependant, comme nous connaissons le penchant de Prudhon pour la grâce, et comme nous savons que ce penchant ne lui permit jamais de séparer l’idée de grâce de l’idée de beauté, nous pourrions croire qu’il a dû exagérer quelques-uns des caractères de son modèle et lui attribuer en partie l’expression que nous avons essayé de décrire, si d’autres images tout à côté ne nous garantissaient que l’artiste a été scrupuleusement fidèle à la réalité. Parmi ces images, la plus remarquable est un buste en marbre, appartenant à l’empereur, œuvre d’un artiste dont le nom est aujourd’hui parfaitement oublié, Chinard de Lyon. Connaissez-vous Chinard de Lyon ? Non, n’est-il pas vrai ? Eh bien ! sachez qu’il a fait un buste qui, sans être un chef-d’œuvre incomparable, possède les qualités de vie et d’expression que nous admirons dans les bustes d’Houdon et de quelques autres sculpteurs de la fin du dernier siècle. Le même caractère que nous avons reconnu dans le dessin de Prudhon se laisse lire sur le marbre de ce Chinard ; cependant il y a entre ces deux ouvrages une différence notable, importante et marquée, et qui tient peut-être à la différence des époques où ils ont été exécutés. C’est ici que les dates nous seraient d’un véritable secours, si le discret catalogue avait bien voulu ; nous les donner. A quelle année se rapporte le buste de Chinard ? A quelle année se rapporte le dessin de Prudhon ? Ou notre tact nous trompe fort, ou le buste de Chinard a dû précéder le dessin de Prudhon. Dans le buste de Chinard, cette grâce mobile rayonne avec une sécurité triomphante ; tout dénote sur ce visage la paix intérieure et le bonheur. Ce buste se rapporte-t-il aux années des joies sans nuage ? Dans le dessin de Prudhon au contraire, il y a une teinte de tristesse. A-t-il été composé à l’époque où Joséphine commençait à être en proie aux préoccupations de l’avenir ?

Nous ne voulons pas abandonner ce dessin de Prudhon sans exprimer une rêverie qui n’a cessé de nous hanter pendant tout le temps que nous avons contemplé cette page du plus grand artiste français de l’époque impériale. Avez-vous remarqué que chaque époque a une manière particulière de comprendre la beauté dont il lui semble presque impossible de s’affranchir ? On dirait que tous les hommes d’une même génération se sont donné le mot pour concevoir un certain type en dehors duquel ils ne voient plus rien. Cependant, si l’on cherchait bien, on découvrirait d’ordinaire que ce type si général, puisqu’il est commun à toute une époque, a eu une origine très particulière, qu’il n’a été d’abord que l’expression d’une individualité vivante dont l’image s’est gravée si fortement dans les esprits des contemporains qu’il leur a été ensuite impossible de séparer l’idée générale de beauté de l’impression particulière qu’ils avaient ressentie. Pour prendre un exemple, qui ne voit combien l’exquise gentillesse de Mme de Pompadour a fait impression sur les imaginations des artistes du milieu du dernier siècle ? Si cette condition