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L’exposition du Petit-Trianon, beaucoup moins riche que celle de la Malmaison y contenait cependant plusieurs objets importans : l’armoire aux bijoux de la reine, meuble imposant et de grande tournure, et quelques meubles en marqueterie appartenant à l’heureux marquis d’Hertford, propriétaire du portrait de Joséphine par Prudhon et de tant d’autres beaux objets. Citons, entre autres, une table en marqueterie de l’aspect le plus gai et une petite console, également en marqueterie, qui, pour l’habileté, le caprice, l’amusante drôlerie, vaut les meilleurs objets de l’art chinois. La harpe de la princesse de Lamballe, parfaite comme forme et décoration, et la guitare de la reine sont aussi des objets à mentionner, ne fût-ce que pour les soins de conservation dont ils témoignent chez les possesseurs. Mais l’intérêt véritable de cette exposition se concentrait tout entier sur les portraits de la reine, qui étaient en nombre infini. Un portrait, prêté par l’empereur de Russie pour cette circonstance, la représente sur la limite qui sépare l’enfance de l’adolescence. C’est une rose, entièrement recouverte de sa coque, un papillon qui dort encore dans son cocon de soie ; rien ne fait préjuger la beauté qui va s’épanouir avec un si merveilleux éclat, et dont un portrait, qui fait vis-à-vis à celui de l’empereur de Russie, nous expose l’incomparable éblouissement. Ce portrait, sous lequel est placé le nom de Vestier, sans posséder aucun mérite d’art transcendant est une véritable féerie. En le contemplant, on comprend que les plus extravagantes métaphores des poètes peuvent être dépassées par la réalité, n’en être qu’une louange imparfaite ; les expressions qui nous paraissent hyperboliques ou prétentieuses deviennent d’une simplicité vraiment triviale pour exprimer un tel miroitement. Une chose frappe en contemplant ce portrait, et la vue des autres images de la reine confirme trop cette observation, c’est que cette fleur de beauté a dû être aussi rapide qu’elle est incomparable, car c’est la beauté qui accompagne l’épanouissement de l’être lorsque sa croissance est accomplie, c’est une beauté des tissus, des fibres, de la chair, qui s’exprime par la fraîcheur, la lumière, la séduction. Dans ses autres portraits, il n’y a plus trace de cet éclat ; ce teint s’est couperosé, cette lumière s’est éteinte, ce charme a fait place à une gravité imposée par la situation, et la condition a mis sur le visage un masque de plomb qui pèse autant sur sa beauté que l’étiquette pesa jamais sur le cœur de cette reine née pour l’abandon et la familiarité, et que le pédantisme de la fatalité livra comme une proie sûre à l’impopularité et à la haine pour l’avoir contrainte à refouler ses vrais instincts, car il n’est pas d’êtres plus sûrs d’être haïs que ceux que la nécessité de leur situation met en contradiction avec leur nature.

Une autre particularité très singulière des portraits de la reine, c’est l’étrange diversité qu’ils présentent. Il n’y en a pas un qui ressemble à son voisin, et c’est au point que nous avouons avoir été obligé nous-même