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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/795

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Mais je suis fait pour gagner de l’argent comme mes chiens pour chanter la messe.

— Le comte est riche ; il parferait le million plutôt que de liciter un de ces beaux domaines.

— Peut-être ; si sa femme en est d’avis ;… mais cela ou autre chose, il faut se mettre en règle avec la loi. Je vois d’ici le testament qu’il me reste à faire. Encore un mot, monsieur. Vous m’avez donné votre avis en jurisconsulte, mais comme homme et comme gentilhomme m’approuvez-vous sans réserve ? Je vous demande un oui ou un non, et je tiendrai grand compte de votre sentiment, quel qu’il soit.

— Permettez-moi de distinguer, quoique je ne sois rien moins que jésuite. J’estime qu’en droit naturel un homme peut disposer arbitrairement de tout le bien qu’il a gagné lui-même. Il ne doit rien à ses enfants, sauf l’éducation et les moyens d’existence. Quant à celui qui n’a pas créé, mais simplement recueilli sa fortune, il n’est à mon sens qu’un dépositaire chargé de la transmettre à la génération suivante, et de la répartir sans préférence entre les petits-enfants de son père. Tel serait votre devoir, si vous étiez simplement un homme ; mais la noblesse dérange tout : un gentilhomme est un être à part, en dehors de la loi commune. Si ma raison s’insurge à toute heure contre cette exception, l’esprit de famille et la reconnaissance envers mes aïeux me commandent de la respecter. Le fait existe, il est constant, je dois le faire entrer dans mes calculs et raisonner avec vous comme si nous ne faisions point partie de la grosse humanité. Si je me place à ce point de vue faux, mais admis, je reconnais que votre patrimoine échappe aux lois de l’équité vulgaire. Ceux qui vous l’ont transmis de main en main à travers une demi— douzaine de siècles ont voulu et prétendu qu’il ne fût jamais divisé. S’ils ressuscitaient tous ensemble pour se réunir ici en conseil de famille, ils diraient d’une voix que Vaulignon et les Trois-Laux ne peuvent appartenir qu’à M. votre fils, que cette faveur, injuste en elle-même, découle logiquement du principe de la noblesse, et que sans le droit d’aînesse, appliqué ouvertement ou en fraude, joutes les aristocrates héréditaires verseraient bientôt dans l’abîme du prolétariat ! Tiens ! voilà que je plaide : pardon, monsieur.

— Non, ma foi I ne vous raillez pas vous-même ; C’est noblement parlé.

— Vous voulez dire parler en noble.

— Et quoi de mieux ?

— Rien, rien. Si votre conscience se trouve suffisamment éclairée, je vous demanderai la permission de passer un habit, car