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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/804

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— Oh ! ce n’est pas cela, mais la chasse m’ennuie parce que je la sais par cœur. Toujours la même chose !

— Et vous ne craignez pas d’aller seule à travers bois ?

— Que craindrais-je ? Je suis chez nous, et personne ne me veut de mal que je sache.

— Cependant… une jeune fille… Il pourrait se rencontrer sur votre route… on pourrait vous dire de ces choses qui font rougir.

— Quoi, par exemple ?

— Mais… si l’on vous disait à brûle-pourpoint que vous êtes belle ?

— Je le sais, mais comme je n’ai pris ma beauté à personne, je n’ai pas lieu d’en être honteuse. »

Mainfroi fut comme étourdi sous le coup de cette naïveté fière, mais il se remit bientôt et reprit :

« Vous êtes plus que belle, mademoiselle de Vaulignon ; vous êtes simple, digne et forte, et l’homme qui vous épousera est heureux entre tous les hommes ! « 

Elle pâlit un peu, regarda Mainfroi sérieusement, et dit :

« Est-ce que vous le connaissez ?

— Non, et vous ?

— Ni moi non plus, mais je sais qu’il n’est pas loin. »

Le regard de Mainfroi fit lentement le tour de l’horizon.

« Vous parlez sans doute au figuré ? dit le jeune homme.

— J’ai vingt ans, monsieur, et mon père s’occupe de mon prochain établissement. Voilà ce que je sais, et ce qui me permet de dire que mon futur mari ne saurait être loin.

— J’éprouve une violente démangeaison d’être indiscret et de vous demander : comment l’aimeriez-vous, mademoiselle ?

— Il y a un jeu, vous savez, où l’on fait de ces questions-là. Je l’aimerai comme on me l’offrira, monsieur, car il sera tout choisi la première fois qu’une occasion fortuite ou apprêtée le placera devant mes yeux. N’est-ce pas partout ainsi ?

— Sans doute. Et les idées de monsieur votre père… ?

— Sont celles de tous les pères de sa condition : un nom, de la fortune, quelque jeunesse encore, et la réputation de galant homme.

— J’entends ; mais se peut-il que pour vous plaire, pour toucher cet adorable cœur, si naturel et si prime-sautier, il suffise de se présenter avec l’agrément de M. le marquis ?

— Une fille ne doit-elle pas entière déférence aux vœux de son père ?

— Et puis un mari, quel qu’il soit, parait moins odieux que le couvent, n’est-ce pas ?