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à être exaucés. Soit que la réponse du premier président fût équivoque, soit qu’on affectât de la croire telle, ses paroles furent interprétées comme une promesse donnée au nom du gouvernement de rétablir bientôt les choses et les prix sur l’ancien pied. La foule, excitée par cette espérance, se rua donc sur les bureaux institués pour le débit du tabac, la vente du papier timbré et le poinçonnage de la vaisselle d’étain. Durant cette agression, deux hommes furent tués par les préposés du timbre, et leur mort exaspéra la multitude qui, se portant au domicile des maltôtiers, brûla les registres et finit par envahir les maisons et par les saccager. Ces violences imprimèrent bientôt à l’émeute un caractère plus redoutable, et les hôtels de tous les capitalistes auxquels on supposait quelque intérêt dans les fermes furent menacés de pillage et d’incendie : situation d’autant plus grave qu’aucune autorité, hors celle du parlement, ne se rencontrait alors à Rennes. Le gouverneur de la province était à Versailles ; M. de Lavardin, lieutenant-général de la Haute-Bretagne, était à Nantes, où les appréhensions n’étaient pas moins vives ; enfin le marquis de Coëtlogon, gouverneur de la ville, se trouvant absent, avait délégué ses pouvoirs à son fils, jeune homme plein de courage, mais dénué de toute influence personnelle.

Les moyens de défense militaire étaient nuls, l’un des plus chers privilèges de la ville de Rennes étant de ne pas recevoir de garnison, et le service de sûreté se trouvant confié aux compagnies bourgeoises, qui portaient le nom de cinquantaines. Ce fut à la bourgeoisie organisée, ce fut surtout à la noblesse, toujours armée et toujours prête à combattre, que le jeune gouverneur en survivance dut adresser un chaleureux appel. L’une et l’autre y répondirent avec un dévouement égal. Au moment où l’émeute menaçait de se porter aux dernières extrémités, quelques compagnies de milice soutenues par de nombreux gentilshommes engagèrent contre elle une lutte assez meurtrière, mais où elles ne tardèrent pas à demeurer victorieuses. L’insurrection une fois refoulée dans les faubourgs, les portes de la ville furent fermées, et l’ordre parut une première fois rétabli ; mais les troubles recommencèrent promptement, et la sédition, associant aux griefs populaires d’invincibles antipathies religieuses, se jeta, aux abords de la ville, sur le temple consacré au culte protestant, auquel appartenaient plusieurs des employés des fermes[1]. L’édifice fut brûlé avant l’arrivée de deux

  1. Il résulte des registres secrets du parlement que cette cour, de tout temps fort opposée aux jésuites, fit les plus grands efforts afin d’impliquer dans l’incendie du temple protestant les élèves du collège que cette compagnie possédait à Rennes. Des poursuites furent commencées contre un élève de cinquième, âgé de treize ans, et durent être abandonnées faute de charges suffisantes. — Registres secrets, année 1675, 27 avril, t. III.