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Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/854

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L’émeute venait d’obtenir à Nantes une sorte de victoire d’un effet périlleux. La femme d’un menuisier, dont les cris avaient attroupé le peuple, fut arrêtée par la garde du gouverneur de la ville, et son emprisonnement mit sur pied toute la populace des faubourgs. La mise en liberté de la Veillone fut réclamée avec des menaces terribles, et la fureur des insurgés devint tellement aveugle que, M. de la Beaume, évêque de Nantes, s’étant jeté au milieu d’eux dans la vaine espérance de les calmer, leur première pensée fut de sauver la vie de la prisonnière en menaçant celle du courageux pasteur. Le peuple l’enferma dans une église en faisant savoir au baron de Molac, gouverneur de la ville, que la vie de l’évêque dépendrait du sort réservé à la Veillone, et qu’il serait pendu, si elle l’était elle-même. Il est douteux qu’une population profondément religieuse se fût jamais résolue à accomplir cette menace ; cependant le péril du prélat parut assez grave pour que M. de Molac se décidât à délivrer la Veillone en faisant porter au peuple par cette femme des paroles de conciliation qui furent accueillies aux cris de vive le roi sans édits ! La nouvelle de ces événemens arrivait à Versailles au moment où l’on apprenait que l’insurrection de Guienne avait contraint le parlement de Bordeaux de pactiser avec elle en infligeant à la royauté l’échec le plus grave qu’elle eût essuyé depuis la fronde. Aussi la conduite de M. de Molac provoqua-t-elle à la cour la plus vive indignation. Suspendu de ses fonctions, il dut en remettre immédiatement l’exercice au marquis de Lavardin, envoyé par le duc de Chaulnes à Nantes avec quelques troupes pour y présider à la punition des coupables et rendre à l’autorité dans cette grande ville le prestige qu’elle avait perdu.

Cependant le feu de la révolte gagnait toutes les parties de la Bretagne. A Lamballe, à Vannes, à Montfort, la sédition éclatait simultanément, et les paysans refusaient d’acquitter toute espèce d’impôt. Une bande d’employés du tabac était massacrée près de Dinan, dans la forêt de la Hunaudaye. A Guingamp, les bourgeois, placés entre la crainte que leur inspiraient les émeutiers et la terreur non moins vive causée par la prochaine arrivée des troupes, attaquaient bravement l’émeute, et faisaient pendre par voie de justice sommaire trois des prisonniers les plus compromis, afin de ne laisser ni au grand-prévôt ni à M. le duc de Chaulnes aucun motif pour venir les visiter, — précaution qui n’empêcha pas cette malheureuse communauté d’avoir deux mois après à héberger le gouverneur, sa suite, ses juges et ses garnisaires. Les choses allaient plus mal encore dans la Basse-Bretagne, ruinée l’année précédente par une mauvaise récolte, et dont les populations rurales avaient passé plus d’une fois, dans des crises semblables, de leur apathie habituelle à la fiévreuse ivresse du carnage. Dans le duché