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guère inspiré, que je sache, de plus superficiel et de plus bizarre. On se figurait généralement la révolution comme l’antagoniste naturelle du tsarisme, et la contre-révolution passait pour avoir en Russie son point d’appui et son foyer principal ; on pouvait le croire, du moins en considérant qu’à toutes les époques la réaction est partie de la Russie comme l’action de la France. M. de Sybel les enveloppe dans le même arrêt et voit en elles les deux faces du mauvais génie de l’Europe. Il ne faudrait pas encore une fois en conclure qu’on rencontrera en lui un adversaire systématique de la force. Il excelle au contraire, comme beaucoup de ses compatriotes, à en justifier après coup l’emploi et à trouver une explication rationnelle à ses triomphes. Un certain respect philosophique de la force préside habituellement à la manière dont on comprend l’histoire en Allemagne ; nulle part on ne s’entend mieux à élever de merveilleux systèmes de nécessités métaphysiques sur le plan que le succès a tracé : la force est l’architecte, les écrivains sont les maçons. Puisse cette disposition, plus dominante que jamais à cette heure, ne pas préparer à ceux qui s’y abandonnent de tristes déconvenues ! Il ne saurait dans tous les cas y en avoir de plus mauvaise pour aborder l’histoire d’un temps où la foi au droit abstrait, poussée jusqu’au délire, fit oublier à tout un peuple le respect dû à la consécration des siècles, à l’autorité des traditions et à l’ascendant qu’elle exerce sur la masse des hommes. M. de Sybel a pu croire la révolution aussi anéantie que la Pologne, il s’est trompé : si ses rêves sont à jamais condamnés, son esprit, en ce qu’il eut de légitime et de bon, n’est pas détruit, il gouverne le monde au contraire ; loin d’apparaître comme un accident local ou une maladie passagère, il fut et il est encore une puissance très salutaire, très nouvelle et très efficace, dont les bienfaits sont loin d’être épuisés.


II

Arrivé aux luttes intestines de la convention et aux premières victoires de la France sur l’étranger, c’est-à-dire au moment où la décision de la querelle est définitivement abandonnée à la force, l’historien résume enfin d’une manière générale son sentiment sur la révolution française. C’est la juger un peu tard peut-être, lorsqu’elle a déjà subi plus d’une déviation, lorsque de graves erreurs en ont altéré l’esprit, lorsque des forfaits ont mis aux prises d’irréconciliables passions et substitué partout des désirs de réaction ou de vengeance à l’unanimité de la pensée première. M. de Sybel ne se soucie point de faire cette distinction d’époques ; le mal remonte si haut et les fautes ou les crimes ont commencé de si bonne heure que ses sévérités s’étendent indifféremment à tous les âges de la