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nous apparaissent, d’après les appréciations de M. de Sybel, les acteurs de la révolution et ceux qui l’ont laissé s’accomplir : les uns et les autres sont confondus dans la même condamnation.

Aux yeux de M. de Maistre, la révolution française est aussi une œuvre du mal. Parmi ceux qui de près ou de loin y ont participé, il n’y a pas d’innocens, et les victimes elles-mêmes ont été frappées justement ; mais ce prodige de démence et d’iniquité n’a rien de naturel, tout y est réglé par un décret spécial, il faut que la France philosophique du XVIIIe siècle soit punie, que toutes les classes reçoivent le châtiment de leur complicité ou de leur indulgence, que la faute universelle soit effacée par le sang. Tout cela sort à tel point de la nature et porte une empreinte si visible du miracle ; les instrumens tels qu’on les a vus, féroces et triomphans, véritables fléaux de Dieu, paraissent si clairement hors de l’espèce humaine et si nécessaires, qu’à peine trouve-t-on en quoi ils peuvent être responsables : c’est encore là un mystère, et non le moindre parmi ceux que M. de Maistre reconnaît à chaque pas dans cette histoire. A la bonne heure, voilà une explication dont la vérité n’est peut-être pas suffisamment démontrée, mais qui n’est pas au-dessous de la grandeur de l’événement et qui prouve que M. de Maistre sentait à merveille combien il était futile de le présenter comme un effet naturel de la corruption d’un peuple. En effet, une telle explication a grandement besoin d’être elle-même expliquée. Admettre et dire que la France a donné le jour en même temps à une génération exceptionnelle par sa lâcheté, à une masse d’hommes non moins extraordinaires par l’excès de leur audace, c’est se contenter trop facilement, et pour s’y arrêter il faut ne posséder à un assez haut degré ni le sens historique ni la pénétration du moraliste. Il serait certes bien inutile de vouloir soit atténuer les crimes soit excuser les criminels. Si l’on peut différer sur la part qui revient à chacun, sur le point précis où l’action légitime cesse et où le crime commence, il est un point où toutes ces obscurités se dissipent. Rien de plus odieux ou de plus vain que les apologies, de quelque source qu’elles viennent, entreprises de temps en temps pour faire casser des arrêts que toutes les consciences droites maintiendront à jamais ; rien de plus triste que de voir les dissidences qui nous divisent fausser à ce sujet plus d’un esprit, les passions actuelles prendre pour champ de bataille cette époque d’où nous datons tous, et s’acharner encore, pour les flétrir ou les défendre, autour de ces mémoires depuis longtemps jugées. Plus on croit irrésistible le mouvement que la révolution a imprimé au monde et plus on est attaché aux vérités proclamées par elle, plus il importe de renier toute solidarité avec ceux qui