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faut bien l’avouer, la révolution s’est soutenue au milieu de la désertion ou de l’inertie générales par le fait d’une minorité. Aussi, parmi les contradictions de tout genre qu’elle présente et qui lui donnent un caractère si tragique, la plus frappante est celle-ci : la révolution, appelée et voulue par le plus grand nombre, inaugurée au nom de la souveraineté nationale, se poursuit et se consomme par une série de coups d’état. La minorité qui les accomplit brise les uns contre les autres tous les partis, parce que dans l’emportement de leur irritation réciproque tous négligent ce qui est la condition du succès en politique et l’une des règles supérieures de l’esprit de gouvernement, celle qui consiste à savoir surmonter ses antipathies. « Plutôt périr que d’être sauvés, par ces gens-là ! » c’est le cri de la reine en parlant des constitutionnels ; c’est aussi celui des girondins à veille de leur défaite, lorsque Danton, revenant au sens politique qu’il avait perdu, leur offre son alliance. Ils ont tous péri, et la minorité révolutionnaire a pu faire impunément violence à la nation, lui imposer ce qu’elle ne demandait pas et ce qu’elle eût repoussé, si on l’eût interrogée. Cette minorité agissait peut-être avec l’espérance d’entraîner le pays, mais elle agissait certainement avec la conscience très claire qu’elle le devançait. Et pourtant il ne serait pas exact de dire qu’elle obéissait à un pur caprice de tyrannie : la raison de ceux qui gouvernaient s’est trouvée prise alors plus d’une fois entre l’alternative de laisser échouer des réformes que la France n’avait pas cessé de désirer, c’est-à-dire de trahir le vœu universel, et la nécessité d’en poursuivre la réalisation au milieu de l’abandon général. Minés par les conjurations de l’intérieur, menacés par les armées de l’étranger et les provinces insurgées, délaissés par la France, mais résolus à ne pas la laisser retomber sous le joug qu’elle avait secoué, ils durent s’appuyer sur la seule force dont ils pussent disposer, celle des masses indisciplinées.

Jamais homme sage n’acceptera sans épouvante cette terrible alliance du désordre ; ce n’est que malgré lui qu’il se prêtera à cette intervention de la multitude irresponsable dans le gouvernement. On sait trop quelles aveugles fureurs elle déchaîne dans la société ; on sait trop aussi qu’affranchis des freins ordinaires, les esprits s’éparpillent vite en mille partis divers, et que, chacun voulant avancer d’un pas sur les autres vers ce qu’il considère comme la justice, il est impossible que la lutte des opinions ne dégénère pas en lutte armée des factions, et ne se termine par leur mutuelle extermination. On l’a vu dans la révolution. Les minorités qui l’ont faite ont eu pour elles de croire qu’elles sauvaient l’état par leur violence ; elles l’ont cru certainement, car une espèce de sincérité n’est pas