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de 100,000 hommes avait été vainement sacrifiée, se montraient si coulans sur les choses, ils ne voulaient point céder sur une question purement personnelle, et demandaient qu’aussitôt après la conclusion de la paix le président Lopez allât faire un voyage en Europe : repoussés par une nation, il leur fût du moins resté la puérile satisfaction d’avoir triomphé d’un homme.

Ces propositions devaient être évidemment rejetées, car ce n’est point de l’étranger qu’un peuple invaincu doit recevoir des ordres pour élire ou renvoyer ses magistrats. Les offres portées par M. Gould étaient remises le 14 septembre, précisément un mois après le commencement du blocus de la flotte brésilienne entre Humayta et Curupaity, et au plus fort des difficultés qu’éprouvaient les impériaux pour se ravitailler dans leur camp de Tuyucué. D’ailleurs ce que l’on sait du maréchal Lopez porte à croire qu’il n’est point homme à se laisser exiler, pour complaire à l’amour-propre d’adversaires qu’il a si souvent repoussés. Dans la réponse rédigée par le commissaire Caminos, il écarta donc nettement la dérisoire proposition qui lui était faite. On ne saurait l’en blâmer ; mais ce qu’on peut lui reprocher avec justice, c’est le manque de modestie dont il a fait preuve en laissant vanter son héroïsme et ses sacrifices dans un document officiel : ce n’est point à lui, c’est à la nation qu’il incombe de reconnaître s’il a bien ou mal rempli ses devoirs de serviteur public.

En terminant sa dépêche, M. Caminos prenait M. Gould à témoin que cette fois les alliés avaient bien certainement eu l’initiative des négociations ; néanmoins, lorsque le voyage du diplomate anglais fut connu à Rio-de-Janeiro, on voulut croire à toute force que le maréchal Lopez, poussé à la dernière extrémité, demandait grâce aux envahisseurs de son pays. Les ministres n’osaient avouer de qui les premières démarches étaient venues, et, quand les nouvelles authentiques arrivèrent enfin, on se refusa longtemps à y voir autre chose que des calomnies d’origine paraguayenne. « Jamais, s’était écrié le président du conseil, M. Zaccarias, dans son discours du 7 juin 1867, jamais le gouvernement n’admettra cette supposition, que la petite république qui nous a offensés puisse ternir l’honneur de l’empire en nous opposant les avantages de son territoire et l’insalubrité de ses marais. » Pourtant il fallut bien ouvrir les yeux à l’évidence et reconnaître que le premier lassé dans cette interminable guerre, c’était le puissant empire et non l’imperceptible république. La joie qu’avait causée d’abord la perspective de la paix fit place à la colère. L’irritation fut grande, surtout à Rio-de-Janeiro et dans les autres villes du Brésil qui ont à supporter le poids si lourd des impôts de guerre, et qui ne cessent d’envoyer à l’armée