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Nouvelle route commerciale, les échanges du port de Cobija, sur le Pacifique, se sont accrus d’une manière notable.

Non-seulement le Paraguay a les moyens matériels de continuer la guerre contre les envahisseurs brésiliens, mais il a aussi l’enthousiasme national, sans lequel rien de grand ne pourrait s’accomplir. La merveilleuse unanimité, la constance inébranlable dont le peuple a fait preuve dans cette lutte qui lui a déjà coûté tant de sang, ne peuvent être commandées par un despote ; elles doivent être le produit le plus pur de la vie nationale. Les Hispano-Guaranis ne veulent à aucun prix se laisser asservir par cette race portugaise qu’ils ont combattue depuis trois, siècles, et qui tente maintenant de faire conquérir leur territoire par des esclaves ; ils préfèrent sacrifier leur fortune et leur vie, et c’est pour, cela que, tout en commençant à comprendre leurs droits de citoyens, ils observent cependant une si rigoureuse discipline : la nation tout entière est devenue volontairement une armée. De toutes parts l’argent afflue au trésor ; l’arsenal et la fonderie sont alimentés de fer et de cuivre par les ouvriers et les paysans, qui apportent leurs vieux outils ; des quantités de dons en nature sont expédiés directement au camp d’Humayta, étoffes, barils de mélasse, légumes, charretées de foin, herbes médicinales, fruits de toute espèce. Dans cette généreuse rivalité, ce sont les femmes surtout, qui se distinguent ; elles couronnent de fleurs les jeunes gens qui vont rejoindre le camp, et ne prennent point le deuil pour ceux des leurs qui tombent sur le champ de bataille ; elles demandent même à prendre les armes. Récemment les dames de l’Assomption, réunies en assemblée générale, ont décidé qu’elles donneraient à la patrie tous leurs bijoux d’or ou d’argent, et leur exemple a été aussitôt suivi dans toutes les villes et les villages de la république. Après avoir recueilli par boisseaux les broches et les pendans d’oreilles, les dames patronnesses présentèrent solennellement leur offrande au vice-président de la république. Toutefois le maréchal Lopez ne voulut point accepter ce magnifique présent ; dans une lettre datée du quartier-général et remplie de complimens à l’adresse du « beau sexe, » il déclara, que le Paraguay était, assez riche pour que les femmes n’eussent pas encore à se priver de leurs bijoux ; il consentait seulement à prélever, au nom de la patrie, un vingtième de l’offrande pour en frapper une monnaie d’or qui servirait bien plutôt à rappeler le patriotisme des Paraguayennes qu’à être utilisée comme moyen d’échange. Dans un pays où les femmes héritent vraiment un pareil honneur, le peuple ne saurait être destiné à un éternel servage. Les descendant des Guaranis, devenus plus fiers par la conscience de ce qu’ils ont su accomplir durant cette grande guerre, et se