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intérieur, la vivacité de l’enthousiasme, la sincérité des émotions généreuses, la confiance en elle-même et ce désir ardent de tout renouveler qui la poussait à la fois dans tous les domaines, dans l’histoire et dans la philosophie, dans l’art et dans la science comme dans la politique. Elle avait ce que rien ne remplace, l’unité du but dans la variété des efforts et des talens. C’est ce qui faisait sa force. Je ne sais s’il y eut jamais une génération entrant dans la vie d’un air plus conquérant, sachant mieux arriver au succès.

Elle n’a pas tout conquis, cela est bien clair, ou elle n’a pas su garder ses conquêtes, ou elle n’a pas eu cet autre grand art de se préparer des successeurs pour défendre son œuvre. Ce fut dans tous les cas à son avènement la génération la plus brillante, la plus favorisée depuis la révolution française, la plus féconde aussi par tout ce qu’elle a produit et par ce qu’elle a laissé entrevoir. D’autres sont venus depuis ; il est resté malgré tout une sorte de reflet particulier et attachant sur les hommes de cette période, même sur ceux qui n’ont pas eu le temps de remplir jusqu’au bout leur destinée, et dont le nom retentit quelquefois sans qu’on sache bien au juste ce qu’ils ont fait, ce qu’ils représentent, comme il arrive de Victor Jacquemont, une des figures de ce monde d’autrefois. Qu’a fait réellement Victor Jacquemont ? Peu de chose : il a passé sans laisser des traces bien distinctes, il a commencé une carrière de savant interrompue par la mort, il a écrit au courant de la plume des lettres qu’on a recueillies, qu’on achève de recueillir aujourd’hui, et dont les dernières, sans être dénuées d’intérêt, n’égalent pas peut-être celles qui ont été publiées il y a quelques années. C’est tout ; mais dans cette vie si brusquement brisée, dans ces lettres écrites pour ses amis, pour ses parens, apparaissent justement cette verve, cet esprit, cette curiosité inassouvie, cette ardeur intrépide d’un homme qui est sans le vouloir et sans y songer un des. types les plus curieux et les moins connus de cette jeunesse d’avant 1830.

Victor Jacquemont ne croyait nullement être un écrivain, et M. Mérimée, qui a tracé son portrait avec une fidélité affectueuse, ajoute même qu’il ne s’était jamais occupé sérieusement de littérature, qu’il avait lu beaucoup, mais sans songer à se donner une forme littéraire, et surtout sans avoir l’idée de livrer ses impressions et ses pensées au public. Chose étrange, c’est cependant comme écrivain qu’il survit, et sur ces pages intimes, courantes, faciles, datées de Delhi ou de Lahore, de Cachemire ou des hauteurs glacées de l’Himalaya, sur ces pages s’étend pour en doubler l’intérêt l’ombré d’une mort prématurée. S’il n’eût pas songé à écrire à ses amis, il ne serait rien de plus qu’un voyageur obscur et oublié, victime