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Jacquemont traitait Napoléon fort durement, en homme qui avait vu de ses yeux d’enfant s’abattre sur son foyer cette domination impériale qu’on colorait de libéralisme. « Je hausse les épaules, écrit-il un jour, quand on veut s’apitoyer sur le sort de Bonaparte à Sainte-Hélène. Il avait huit domestiques, quatre courtisans, 12,000 guinées par an, dix chevaux dans son écurie, etc., etc. ! Quand j’avais huit ans, — il y en a vingt de cela, — des gens de la police, munis d’un ordre de Fouché, vinrent un dimanche envahir notre maison. Ils enlevèrent les livres, les papiers, fouillèrent partout pour trouver des traces de conspiration, puis emmenèrent mon père. Pendant onze mois, il resta renfermé dans une chambre étroite et obscure que je me rappellerai toute ma vie, y étant allé pendant les onze mois deux fois par semaine, c’est-à-dire autant que cela était permis. C’est là que j’appris à lire et à écrire… Au bout de onze mois, mon père sortit enfin, mais pour subir un exil qui dura autant que l’empire. Il est vrai qu’il n’avait pas eu, comme son persécuteur, la gloire de désoler le monde. Ce n’était qu’un obscur patriote, qu’un penseur innocent. Son crime secret était d’avoir gardé les opinions et les amitiés qui l’avaient fait exclure du tribunat avec Benjamin Constant, Say, Daunou, Laromiguière, Andrieux, etc., car il est sans doute inutile de vous dire que ces arrestations, ces emprisonnemens, ces exils et quelquefois ces meurtres n’étaient ordonnés que par la police. Mon père n’a jamais vu la figure d’un juge d’instruction ni d’un procureur impérial. Cependant les lois sur la liberté individuelle étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui. Le code édictait contre les auteurs de détentions arbitraires les mêmes peines qu’aujourd’hui ! »

Cette haine du despotisme impérial est une partie de la politique de Jacquemont. Pour le reste, il ne dépasse pas évidemment dans ses idées, dans ses vœux, le programme de la société née de la révolution et attachée à tout ce qui vient de 1789. C’est un type réussi de libéralisme bourgeois formé dans la familiarité de M. de Lafayette, n’ayant aucun goût pour le bonapartisme, en ayant peu pour les doctrinaires, très froid pour la légitimité ou même la quasi-légitimité, — et sans reculer devant la république, en la considérant au contraire comme la forme à peu près inévitable de l’avenir, il se montre peu impatient. Il ne veut pas qu’on la traite de chimère, mais il écrit : « Je suis de ceux qui ne veulent pas de la république jusqu’à ce que tout le monde sache lire en France et soit un peu décrassé, besogne d’un demi-siècle au moins. » Voilà ce que pensait un jeune libéral de 1829, un des représentans de cette jeunesse d’autrefois qui a eu le mérite d’avoir du feu, de la passion, la foi en elle-même, et le bonheur plus grand encore de voir clair