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ou moins sentimental et dialogué selon la circonstance, puis l’andante large et développé, puis l’allegro vivace pour finir, le tout entremêlé, enguirlandé de brillantes arabesques, reliant l’un à l’autre par de faciles procédés les divers fragmens du morceau. Ce Rossini de 1833-34, tel que les portraits nous le représentent, sceptique, gouailleur, un peu cynique, avec son bonnet sur l’oreille, préconisé des Stendhal, des Jacquemont, et dont le génie, en apparence négligent, paresseux, semble alors ne se traduire que par ces mots tout caractéristiques du prince dans le duo de Cenerentola : una grazia, un certo incanto, ce Rossini tout sens et tout esprit, ce viveur promenant en soi par le monde sa Campania felix, riche et voulant jouir, complet par le Barbier, un chef-d’œuvre déjà classique, — soudain se retourne et montre au siècle un nouveau masque. Mystifier ainsi son monde n’est certes pas d’un bouffon ordinaire. Et tant de braves gens dont le siège était fait, que vont-ils dire ? Stendhal tout le premier, qui trouvait Otello de la musique trop allemande ! On voit d’ici le désarroi, l’effarement de ces professeurs, censeurs et connaisseurs en possession de la plus inutile des théories, d’une algèbre qui, stérile entre leurs mains, devenait tout à coup pour le génie une source vive de régénération. Ce qu’ils n’avaient voulu reconnaître, ces pédans, ces envieux ayant à leur tête le bonhomme Berton, c’est que les maîtres, les Rossini, les Véronèse, ne sauraient pécher par ignorance. Ces principes mathématiques, cet art sacré des quantités, l’auteur du Barbier et de la Gazza, de l’Italiana in Algieri, de la Semiramide et du Comte Ory les possédait aussi bien, sinon mieux, que tous les grammairiens, et philistins ébouriffés qui lui faisaient une guerre de participes, ne pouvant lui en faire d’autre ; seulement dans cette hâte, ce tourbillon qui l’emportait dans ce besoin fiévreux, incessant, d’écrire, il oubliait d’être correct, il se sentait trop de musique dans la tête pour user son temps à caresser des modulations, à coqueter avec des harmonies. Parachever, limer, montrer son art aux curieux, n’était point son affaire, non qu’il ignorât tout ce qu’un maître doit savoir, mais parce qu’il ne voulait se donner tant de peiné. Qu’avait-il d’ailleurs besoin de s’y appliquer ? Les divers publics avec lesquels il s’était jusque-là trouvé en rapport ne cessaient d’accourir, d’applaudir, de lui témoigner leur enthousiasme, preuve, je suppose, qu’ils étaient contens de ce qu’on leur donnait et n’en demandaient pas davantage.

À Paris, les circonstances changeaient d’aspect ; les demi-succès du Siège de Corinthe, de Moïse, du Comte Ory, furent des leçons dont un esprit aussi ouvert, aussi avisé que le sien, sut profiter. « Il leur faut autre chose, se dit-il, pensant à Gluck, à Beethoven ;