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le décri. On ne voit plus l’honnête homme, on tremble quelque temps devant l’alguazil, on finit par siffler le pasquin.

J’en demande pardon aux théologiens libéraux, mais je ne puis, en conscience, faire un crime à Melchior Goetze d’avoir couru sus à l’éditeur du fragmentiste. De toutes les guerres de plume qu’il a soutenues, c’est peut-être la plus honorable pour lui et la plus légitime. Dans l’affaire de Schlosser, il ne fut qu’un aboyeur ; dans l’affaire d’Alberti, il fut odieux. En attaquant Lessing, il combattait pro aris et focis. Le malheur est que, selon sa coutume, il ne tarda pas à gâter son rôle par ses incartades et par l’incontinence de sa plume. Le théologien avait ouvert le feu ; ce fut le libelliste qui le continua. Goetze avait démêlé sans beaucoup d’efforts la tactique de Lessing ; il ne fut point dupe de cette ironie enfarinée d’innocence. A ses griffes, à son museau pointu, il reconnut le loup déguisé en berger, loup rempli d’humanité, mais friand de tuerie. Lessing disait : « Docteurs de l’église, vos doctrines se défendent assez elles-mêmes. Accordez-nous que la Bible est un livre humain ; touchés de ce bon procédé et de cette marque de confiance, nous mettrons chapeau bas devant l’orthodoxie. » A quoi Goetze répliquait : « Nous savons qui vous êtes. Qu’adviendra-t-il de la bergerie quand nous vous aurons livré nos chiens ? » Et il se mit à crier au loup.

Lorsqu’il argumente, il n’est pas dépourvu de sens ; par exemple, il est en droit de répondre à Lessing : « Vous protestez que vous voulez le bien de l’église ; mais vos prétentions sont étranges. Vous nous demandez de croire à la résurrection, et de convenir que les récits des évangélistes se contredisent. Ainsi du reste. À ce compte, nous devrions nous résigner à croire sans preuves, à croire parce que nous croyons, parce qu’il est utile de croire, et que jusqu’aujourd’hui tout le monde a cru. » Il est irréprochable aussi quand il-dit : « M. Lessing veut que nous fassions un choix dans les saints livres, acceptant ceci, rejetant cela. M’est avis que si nous retranchions de la Bible tout ce qui n’a pas le bonheur de lui plaire, il ne nous resterait qu’une Bible de poche. » Goetze ne manque ni de clairvoyance, ni d’esprit, ni de verve ; mais il ne sait ni se tenir ni se contenir : il est long, verbeux. Il divague, il abonde en redites ; ses redondantes philippiques rappellent certains mandemens, certaines lettres pastorales, il a la prolixité fatigante d’un prédicateur ; puis il est trop bouillant, l’imperturbable sang-froid de Lessing l’exaspère, il s’avance trop et se fait prendre ; irrité de trouver toujours devant lui le fer d’un ennemi qui a l’œil perçant, la main sûre et le jeu serré, il s’emporte, il bondit et s’embroche. Ajoutons qu’il a les mauvaises habitudes d’un méchant avocat de province ; il est