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personnelle, proposait d’abandonner tout ce qu’il avait en gardant sa liberté, la loi l’admettait à faire cession de biens, s’il était de bonne foi ; mais son abandon n’était pas reçu, lorsqu’il était en faute, à plus forte raison s’il se réservait des ressources secrètes. Se plaignait-on de la pratique des tribunaux dans l’application de cet article ? Avait-on signalé des appréciations abusives sur la bonne ou la mauvaise foi des débiteurs en déconfiture ? Sans doute les bonnes lois posent des règles et laissent le moins possible à l’appréciation des juges, à l’équité cérébrine, comme disait Bacon ; mais la fraude doit être mise hors la loi, et pour la frapper il ne faut reculer devant aucun moyen, même devant l’appréciation des hommes qui sont chargés de juger. La fraude n’a pas de scrupule, elle n’a droit à aucun ménagement.

L’hypothèse que nous venons d’exposer faisait impression sur plus d’un adversaire de la prison pour dettes ; mais, comme la contrainte était condamnée en principe, ils cherchaient dans le raisonnement suivant un moyen de calmer leurs doutes. Entre le banqueroutier qui détourne une partie de son actif et le débiteur qui dissimule des valeurs au porteur ou qui profite de ce que les rentes sur l’état ne peuvent être saisies, la différence n’est pas grande. Qu’on ajoute quelques articles au code pénal pour étendre aux débiteurs frauduleux les peines de la banqueroute ; qu’on les punisse des travaux forcés à temps, puisque la déconfiture civile, quand elle est frauduleuse, n’a pas droit à plus d’indulgence que la faillite commerciale ! La répression des faits de cette espèce a sa place naturelle dans le code pénal, et la contrainte par corps peut, moyennant ce renvoi, disparaître sans inconvénient de la loi civile. Ainsi, pour procurer un traitement indulgent aux débiteurs sans pudeur, on les accablait de paroles sévères ; on se montrait à leur égard d’autant plus impitoyable dans les mots qu’on était décidé à être plus doux dans les actes. C’était agir à la manière de ces défenseurs qui, pour détourner une peine correctionnelle, cherchent à démontrer que le prévenu mériterait peut-être de grands châtimens, mais que la police correctionnelle est incompétente. Cette mesure rigoureuse n’est pas nécessaire, et l’excès en matière de répression doit être soigneusement évité. La contrainte par corps a suffi et suffirait encore pour combattre la fraude des débiteurs qui s’obstinent à ne pas payer. Pourquoi supprimer des dispositions anciennes, dont l’effet est assuré, en attendant des pénalités hors de proportion avec la moralité de l’acte ? D’un autre côté, créer une peine et un crime, c’est en confier la poursuite au ministère public, et par conséquent enlever au créancier lui-même la sanction qu’il pouvait personnellement requérir sous le régime de la contrainte