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jurisconsultes expérimentés sont rares partout, ils le sont particulièrement au corps législatif, d’où l’exclusion des fonctionnaires a banni les magistrats et les professeurs, et où les hommes du barreau n’ont que peu de sièges à cause de la situation relative des partis. Quelques avocats d’un incontestable talent y représentent l’élément judiciaire ; mais, s’ils donnent de l’éclat aux séances publiques, comment pourraient-ils, avec la vie dévorante que leurs multiples obligations d’avocat et de député leur imposent, travailler avec soin et avec suite à la rédaction des lois ? On ne compte point parmi les députés assez d’hommes spéciaux tenant à honneur et ayant le loisir de se confiner dans la patiente élaboration des travaux législatifs. Les propriétaires et les industriels occupent presque toutes les places à la chambre. D’où leur viendrait l’aptitude de faire des lois en état de supporter l’examen des hommes expérimentés ? La constitution ne permettant pas aux fonctionnaires l’entrée au corps législatif, au moins faudrait-il parer à cet inconvénient par une préparation extra-parlementaire. Le conseil d’état, qui arrête la rédaction à présenter au corps législatif, ne contient pas les élémens que demande ce travail difficile. Si l’on y trouve beaucoup de membres qui se sont distingués dans l’application du droit administratif, les jurisconsultes habitués aux matières civiles et commerciales y sont clair-semés. C’est à peine si on pourrait en citer cinq ou six. Pour faire de bonnes lois, il ne suffit pas d’avoir l’esprit ouvert et prompt ; il faut une grande habitude de peser les intérêts, les droits et les rapports juridiques. S’il est impossible de composer autrement le corps législatif et le conseil d’état, qu’on use du système des commissions, tel qu’il est fréquemment pratiqué en Belgique ; qu’on leur donne une composition mixte, qu’on y appelle les représentans de la théorie et ceux de la pratique. Ainsi composées, ces commissions arriveraient à trouver des formules où les idées générales seraient dans une juste mesure alliées avec les besoins de l’application. L’esprit philosophique entrerait dans la rédaction des lois, et chasserait ces dispositions artificielles ou arbitraires qu’on trouve à regret dans presque tous les travaux de nos législateurs contemporains.


A. BATBIE.