Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/1059

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aventures lointaines, fortune tombée entre des mains qui ne sont pas celles du vrai propriétaire, retours imprévus, papiers révélateurs cachés dans des tiroirs à secret. Heureusement M. E. Gondinet n’a point l’humeur sombre qui convient à ces sortes de compositions. Tout s’adoucit sous sa plume aimable et tourne volontiers en gaîté ; son vers, ami du soleil, n’est pas fait pour pratiquer les souterrains du drame. Malgré le romanesque du sujet, on écoute ces trois actes sans éprouver le moindre frisson ni l’ennui habituel des constructions laborieuses, mais sans avoir non plus à supporter la fatigue d’émotions bien vives.

On demandera pourquoi M. E. Gondinet est allé se jeter, contre son humeur, au milieu de combinaisons qui ne sont pas précisément de mise dans la comédie. La raison n’en est pas difficile à deviner. Au lieu d’imaginer des caractères dont le développement amenât d’une façon naturelle les incidens de la pièce, il a conçu d’abord une situation qu’il a fallu tirer de fort loin, pour laquelle il a dû inventer tout exprès des caractères et forger après coup une histoire. Cette situation est celle d’un jeune homme, le comte Jacques, et d’une jeune fille, remplis tous deux de sentimens élevés et fiers, tous deux se croyant également les légitimes héritiers du marquis de Prignon, et montrant, lorsque le conflit éclate, le même empressement généreux à renoncer à cet héritage. La jeune fille, déjà en possession de la fortune, se trouve être une enfant recueillie par le marquis de Prignon, qu’elle a toujours regardé comme son père. Le comte Jacques, propre neveu de celui-ci, est un chercheur d’aventures chevaleresques, courant en Pologne, en Amérique, partout où il y a des dangers à braver et une noble cause à défendre. Celle qui se croit sa cousine ne l’a pas encore vu depuis une heure qu’elle le devine, et qu’elle lui fait à lui-même son portrait d’une ressemblance parfaite :

 « Vous étiez à vingt ans plus jeune qu’il ne faut,
Gai, bruyant, un peu fou, — ce n’est pas un défaut,
Et sans savoir très bien comment cela se nomme,
J’admets tous les péchés qu’avoue un gentilhomme.
Vous avez combattu comme ont fait nos aïeux,
Vaillamment, je le sais. Est-ce un crime à mes yeux ?
Quand pour la bonne cause une épée est tirée,
J’applaudis. — Je conviens que je suis arriérée
Comme mon père. On dit que j’ai le cœur hautain.
J’ai l’orgueil de mon nom, du nôtre, mon cousin. »

Le moyen de déposséder une si charmante châtelaine et une cousine qui plaide si bien la cause de vos mérites ? Quoique le comte Jacques soit revenu avec cette intention, appelé par un fidèle domestique qui aie secret de l’affaire, nous ne sommes pas inquiets sur l’issue du litige ; il n’y aura pas de procès.