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ayant à son doigt, dit notre relation italienne, l’anneau pontifical que Pie VI avait porté pendant sa captivité en France, les deux cardinaux assis près de lui, et derrière un groupe composé des principaux serviteurs de sa maison. De part et d’autre on s’observait réciproquement; le silence dura plus de cinq minutes. Il était évident que le général Radet était fort décontenancé : il avait peine à reprendre ses esprits; sa figure était pâle; il semblait vouloir parler, mais les mots ne lui venaient pas à la bouche. Enfin il s’avança de quelques pas, s’inclina et dit à sa sainteté qu’il avait une mission douloureuse à remplir, mission imposée par ses sermens et les devoirs sacrés de sa place[1]. À ces mots, le pape se leva, et, le regardant avec dignité : « Que me voulez-vous? Et pourquoi venez-vous à cette heure troubler ainsi mon repos et ma demeure? — Très saint-père, reprit le général Radet, je viens au nom de mon gouvernement réitérer à votre sainteté la proposition de renoncer officiellement à son pouvoir temporel. Si votre sainteté y consent, je ne doute pas que les affaires ne puissent s’arranger, et l’empereur traitera votre sainteté avec les plus grands égards[2]. » Cette proposition à lui adressée, dans son propre palais, par un chef de gendarmerie qui s’en était emparé de vive force, le saint-père l’avait déjà lue dans les lettres de l’empereur, il l’avait plusieurs fois entendue sortir de la bouche de nombre de ses interlocuteurs, plus haut placés et mieux disant que celui qu’il avait maintenant sous les yeux; mais derrière la sommation du soldat vulgaire qui venait de présider à l’odieux guet-apens il y avait la menace parlante de l’emploi immédiat de la force brutale. Cela ne troubla en rien Pie VII. « Si vous avez cru devoir exécuter de tels ordres de l’empereur à cause de votre serment de fidélité et d’obéissance, pensez de quelle manière nous devons, nous, soutenir les droits du saint-siège, auquel nous sommes lié par tant de sermens. Nous ne pouvons ni céder ni abandonner ce qui n’est pas à nous. Le temporel appartient à l’église, et nous n’en sommes que l’administrateur. L’empereur pourra nous mettre en pièces; mais il n’obtiendra pas cela de nous. Après tout ce que nous avons fait pour lui, devions-nous nous attendre à un pareil traitement? » Radet était de plus en plus troublé. « Je sais, saint-père, que l’empereur vous a beaucoup d’obligations. — Oui, et plus que vous ne savez ; mais enfin quels sont vos ordres? — Très saint-père, j’ai regret de la commission qui m’a été donnée; mais, puisque telle est la résolution de sa sainteté, je dois lui dire que j’ai ordre de l’emmener avec moi. » À ces paroles, le saint-père, qui avait gardé jusque-là le ton le plus

  1. Le général Radet, relation de septembre 1814.
  2. Relation manuscrite italienne.