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avait plus moyen de dissimuler à la foule qui se pressait sur les routes quel était le prisonnier enfermé dans ce carrosse si bien clos et si attentivement gardé. Ces rassemblemens, qui étaient en certains endroits fort considérables, ne laissaient pas d’inquiéter un peu le général. La curiosité de voir le saint-père, le désir de lui donner des marques de dévouement et de respect, n’étaient pas en effet les seuls sentimens dont ils étaient animés. Quelques-uns semblaient des plus mal disposés pour l’escorte du saint-père. Radet s’en tira par ce qu’il nomme une ruse de son métier dont il se sait à lui-même infiniment de gré. « Je m’en débarrassais, écrit-il au ministre de la guerre, en leur criant de se mettre à genoux à droite et à gauche de la route, parce que le saint-père allait leur donner sa bénédiction; puis tout à coup j’ordonnais aux postillons de fouetter. Par ce moyen, les populations étaient encore à genoux que nous étions déjà bien loin et au galop; cela m’a réussi partout[1]. »

Le 8 juillet, le saint-père était rendu à la chartreuse de Florence si souffrant, si épuisé de fatigue, qu’à peine put-il lever la tête et prononcer quelques mots à peine entendus pour reconnaître les complimens et les offres de service que lui apportait un chambellan de la cour d’Élisa Bacciocchi, grande-duchesse de Toscane. Pie VII et le cardinal Pacca s’étaient attendus à faire quelque séjour à la chartreuse, où ils étaient arrivés à peu près à minuit. On le leur avait donné à entendre, et l’état de santé du pape réclamait du repos et beaucoup de ménagemens, car sa faiblesse et son accablement étaient extrêmes à la suite des trois nuits qu’il avait passées sans sommeil. Cependant, à trois heures du matin arriva un colonel expédié par la princesse Élisa et portant l’ordre de faire lever le pape et de le faire partir sur-le-champ. Pacca s’empressa de l’aller prévenir. Son visage était comme décomposé, dit-il, et tout son corps anéanti de douleur. « Je vois bien, dit-il, qu’ils veulent me faire mourir à force de mauvais traitemens, et pour peu que cela dure, je sens bien en effet que je succomberai bientôt. » Le saint-père se trompait en supposant d’aussi épouvantables desseins à ceux qui usaient de tant de rigueurs envers lui. La princesse Élisa en particulier n’était pas une personne cruelle; mais elle avait tout simplement peur de déplaire à son redoutable frère. Elle craignait d’assumer sur elle une responsabilité quelconque en gardant le pape dans ses états pendant si peu de jours que ce fût. Elle était pressée de s’en débarrasser et de passer à quelque autre une charge aussi lourde. C’est pourquoi elle avait décidé qu’il partirait pour Gênes, n’importe à quelle heure, n’importe dans quel

  1. Le général Radet au ministre de la guerre, 13 juillet 1809.