Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imagination ne lui prête que les attributs les plus nobles, les plus grands, les plus saints ; mais ne prétendez pas savoir ce qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître. Avant tout, ne voyez pas dans les phénomènes physiques de ce monde des signes de la colère ou de la faveur divine. La chute de la tour de Siloam ne prouve pas que les malheureux ensevelis sous ses décombres eussent mérité la colère céleste. Ne croyez pas ceux qui le disent, n’écoutez pas ceux qui voient dans le choléra, les mauvaises récoltes, les pestes bovines, des effets de la vengeance de Dieu, et riez des esprits faibles qui attribuent la baisse des actions de chemins de fer aux trains qui circulent le dimanche. Répétez-leur ce que Thomas Carlyle, un des plus glorieux enfans de l’Ecosse, disait aux disciples du docteur Pusey : « Le Dieu de l’univers est sage ; il a créé les élémens de toutes les âmes, de tous les êtres, de toutes les planètes, les longues périodes de temps passés et à venir, et ce vaste plan, juste ciel ! aboutirait à quoi ? aux trente-neuf articles de foi de l’église anglicane ! »

Cette péroraison m’inquiétait. Je voyais devant moi ces longues rangées de figures écossaises rudes et sérieuses. Tous ces ouvriers sont des croyans sincères, nourris de la Bible, soumis à l’Évangile. Leurs pères étaient les puritains d’Ecosse, et les fils le sont encore ; mais leurs convictions ne sont pas figées dans un dogme invariable, elles sont volontaires, spontanées, réfléchies et progressives. Par l’évidence des faits, par son éloquence, qui était celle d’un défenseur de la vérité, l’orateur les avait élevés avec lui dans une région supérieure : il leur avait montré l’étendue, mais aussi les limites du champ où l’intelligence humaine peut se mouvoir ; une lumière nouvelle, celle de la science, avait lui à leurs yeux, et, quand M. Tyndall disparut, des salves d’applaudissemens unanimes lui apprirent qu’il avait été compris, et que ces ouvriers, ces artisans, avaient entrevu pour la première fois peut-être la grandeur, la simplicité et les relations des phénomènes si variés qui se produisent dans l’atelier comme dans la nature. Qui sait si ces paroles n’auront pas jeté dans quelque génie inconscient de lui-même le premier germe que le temps et la réflexion feront fructifier ? Au commencement de ce siècle, un savant justement célèbre, Humphry Davy, professait la chimie devant un auditoire semblable : perdu dans la foule, un humble apprenti relieur l’écoutait ; son génie s’éveille, il demande la faveur d’entrer dans le laboratoire du professeur. Il y remplit d’abord les fonctions les plus humbles ; mais il s’instruit rapidement, travaille, expérimente à son tour. Ses découvertes sont admirées, elles se multiplient, et transforment une branche entière de la physique, l’électricité. Aussi un malicieux académicien put-il dire