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plique chez elle l’existence de la maladie. Au XVIIIe siècle, Roger Schabol fit de la médecine végétale une science véritable ; abstinence, saignées, scarifications, bandages, ligatures, rien n’y manqua, et son travail sur l’analogie entre les plaies des végétaux et celles des animaux fut couronné par l’Académie de chirurgie de Paris. L’absence du système nerveux chez les végétaux ne prouve pas plus contre la possibilité de souffrir que contre la faculté de se mouvoir. Cependant il ne faut point oublier que tout est relatif dans la plante, aussi bien sa vie que ses facultés. Sa sensibilité l’est nécessairement aussi, et il ne serait ni scientifique ni même rationnel de chercher à l’identifier à la sensibilité animale. Sans doute il est fort difficile de parler de choses pour lesquelles il n’est pas d’expressions usitées ; mais de cette impuissance du langage est-il légitime de conclure à la non-existence des réalités ? La plante peut et doit éprouver des sensations sourdes, confuses, qu’il est impossible de caractériser. Le mot de sensation ne convient peut-être même qu’imparfaitement ; mais qu’importe le mot, si l’idée se comprend ? N’est-il pas évident que, de même qu’il existe une série décroissante de facultés à partir des types élevés du règne animal, il existe également une série parallèle de sensibilités graduellement atténuées depuis l’homme, dont chaque parcelle de muscle peut devenir une source inépuisable de souffrances, jusqu’aux insectes, aux animaux rayonnes, aux polypes et aux végétaux enfin, où la douleur, toujours proportionnelle à la nature de l’organisme, ne mérite peut-être plus que le nom de malaise ? Quoi qu’il en soit, la plante souffre ; elle souffre comme elle vit, comme elle se meut, comme elle respire, comme elle se nourrit, c’est-à-dire dans la mesure de son organisation et suivant le rang hiérarchique qu’elle occupe. La vie ou le mouvement, puisque c’est tout un, n’a qu’un mode de développement, l’évolution ; or l’évolution suppose le progrès, c’est-à-dire une marche graduelle, et la gradation, mot qui résume toutes les formes de la vie, en explique justement les contrastes par la raison qu’elle en rapproche méthodiquement toutes les nuances.


ED. GRIMARD.