Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

franchises et privilèges de la province[1], pour ne pas faire d’une pareille entente la base de leur action politique. Le gouvernement du régent était alors hostile aux parlemens, qu’alarmait la témérité de ses plans financiers et derrière lesquels le pouvoir entrevoyait le spectre redouté des états-généraux. Rennes demeurait donc l’appui le plus sûr de l’opposition bretonne, et ce fut avec des transports de joie qu’on apprit à Dinan l’admission du pourvoi contre l’arrêt du conseil introduit au nom des états par leur procureur-syndic. Le 7 septembre, la cour, statuant sur la requête de la noblesse, ordonna que de très humbles remontrances seraient faites au roi sur les infractions aux droits et privilèges des états, et « fit défenses à toutes personnes de faire aucunes impositions ni levées de deniers dans la province à peine de concussion, ordonnant que copie de son arrêt serait envoyée dans tous les sièges présidiaux à la diligence du procureur-général du roi. » Le lendemain, la noblesse forma opposition contre tous les actes que l’arrêt avait interdits, et le soir même cette opposition fut signifiée au greffier des états malgré l’hésitation des deux autres ordres, qui, tout en la regardant comme bien fondée, ne crurent pas devoir s’y associer.

Accepter un pareil acte, c’était rendre inévitable le refus de l’impôt, objet de toutes les terreurs du commandant ; M. de Montesquiou prit donc son parti, et dans la journée du 12 septembre soixante-trois signataires de cette pièce furent chassés de Dinan par la garde du maréchal, avec injonction de n’y pas reparaître, sous peine de se voir incarcérés. Après cette razzia, soutenue par l’approche de plusieurs régimens arrivés de Normandie, l’assemblée cessa d’être libre ; on pourrait dire qu’elle cessa d’exister, car d’heure en heure le nombre de ses membres allait diminuant, à ce point que le maréchal, pour empêcher une désertion complète qu’il redoutait, fut contraint d’interdire à la hâte par un arrêté la sortie de la ville à tous les membres des états. Cette situation douloureuse se prolongea douze jours encore, durant lesquels le croupion se vit obligé de revêtir de formes dérisoires toutes les mesures dictées par le commandant. Des hommes plus habiles à masquer la réalité sous l’apparence auraient certainement laissé à cette ombre de représentation l’ombre d’une inoffensive liberté ; mais l’heure de ces hommes-là n’avait pas sonné, et Montesquiou tenait pour le despotisme sans masque. C’est un mérite qu’il est juste de lui

  1. « Advenant qu’il se présente quelques lettres ou édit préjudiciant aux libertés du pays, les états de Bretagne ou leur procureur-syndic pourront se pourvoir par opposition et par toutes voies accoutumées à bons et loyaux sujets, permises en justice, nonobstant tout ce qui pourrait avoir été fait au contraire. » Édit du roi Henri III du mois de juin 1579.