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tenus en bride par l’influence des agrégés, dont il serait essentiel de multiplier le nombre. Le tiers-état est en partie dans l’étroite dépendance du roi par les maires, qu’il nomme et révoque à son gré; mais un élément fort difficile à manier est celui des sénéchaux, parce qu’ils sont propriétaires de leurs charges et dans des rapports étroits avec le parlement. C’est sur ce dernier corps surtout qu’il importerait de frapper, parce qu’au prestige de la naissance et de la fortune il unit celui d’une grande considération personnelle. Le parlement est le centre dangereux de toutes les résistances; c’est donc sur lui qu’il faut agir sans cesse et porter les grands coups, si l’on veut fortifier le pouvoir royal[1].

Pénétré de la même conviction que l’homme obscur admis à l’honneur de correspondre avec le régent, le maréchal de Montesquiou engagea en effet contre le parlement de Rennes, sitôt qu’il fut débarrassé des états, la guerre implacable conseillée au prince qui gouvernait la France. De nouvelles lettres de cachet vinrent éclaircir encore les rangs de cette compagnie, et un arrêt du conseil du 18 octobre 1718, annulant celui qu’elle avait rendu au mois d’août précédent, qualifia en termes injurieux la conduite des magistrats bretons. Outragés dans leur honneur politique, ces magistrats adressèrent au garde des sceaux un long mémoire destiné à être placé sous les yeux du roi, et qui pourrait figurer parmi les beaux monumens élevés par l’ancienne magistrature. « Si les événemens fâcheux pouvaient abattre nos courages, fortifiés par le témoignage d’une conscience qui n’a rien à se reprocher, l’exil récent de douze de nos confrères, l’arrêt foudroyant de votre conseil accompagné des marques éclatantes du courroux de votre majesté, nous réduiraient au silence; mais, sire, nous osons dire avec la fermeté qui convient au caractère qui nous a été imprimé par votre majesté que votre parlement n’a rien fait qui pût mériter votre indignation. Si les remontrances sont non-seulement permises, mais même ordonnées aux parlemens pour faire arriver jusqu’au trône la voix des peuples, l’usage en est encore plus légitime lorsque les corps judiciaires y vont porter la justification de leur innocence. Puisque nous sommes condamnés sans avoir été entendus, nous croyons ne point manquer au profond respect que nous devons à votre majesté en lui faisant connaître la régularité de notre conduite. Elle est fondée sur la possession personnelle où est le parlement de Bretagne de connaître des affaires des états, même pendant leur tenue; nos registres en fournissent beaucoup d’exemples. Nous nous contenterons d’en rapporter quelques-uns[2]. » Ces con-

  1. Lettres du sieur La Mabaunaye au régent, de Saint-Malo, 7 et 9 février 1719.
  2. Requête au roi des gens tenant la cour du parlement de Bretagne, 26 octobre 1718. — Archiv. imp., nouveau fonds du contrôle-général. En marge de cette pièce je trouve de la main de M. d’Argenson la note suivante : « Répondre au parlement que je présumerai toujours autant qu’il me sera possible que le vœu le plus précieux à la compagnie sera de faire prévaloir sa soumission aux ordres du roi sur toute autre considération. M. le marquis de La Vrillière se bornera à répondre de son côté que le roi veut être obéi, et que l’arrêt de son conseil sera exécuté dans toutes ses dispositions. Il y a dans cette requête plusieurs termes contraires au respect dû au roi. Ce que messieurs du parlement doivent le plus désirer, c’est que sa majesté ne sache pas quel est celui de leurs membres qui a osé rédiger ces remontrances, lesquelles sont très propres à justifier la nécessité des exils. — 6 novembre 1718. »