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Il n’était pas sans difficulté de mener à fin une procédure qui s’appliquait à cent accusés présens et à cinquante contumaces. Disjoindre la poursuite dans une affaire où se présentait un même corps de délit, c’était un procédé peu régulier; juger tous les prévenus à la fois, c’était une entreprise à peu près impossible. Dans une dépêche impérative, le garde des sceaux trancha la difficulté. Il prescrivit aux commissaires de s’occuper d’abord des quatre principaux accusés, les seuls dont il convoitât la tête, en englobant dans le même arrêt tous les contumaces engagés dans les machinations avec l’Espagne, et tous passibles, à ce titre, de la peine capitale. Vingt condamnations à mort par un seul arrêt, cela parut au garde des sceaux pouvoir exercer une salutaire influence sur tous les parlementaires depuis Rennes jusqu’à Grenoble, depuis Grenoble jusqu’à Toulouse. Au moment où la Bretagne se rattachait avec ardeur à l’espoir d’une prochaine amnistie, la chambre criminelle préparait donc en secret le dénoûment de cette immense procédure. Dans la matinée du mardi 26 mars, MM. de Pontcallec, de Montlouis, du Couëdic et de Talhouët furent appelés l’un après l’autre devant elle, et ces quatre gentilshommes entendirent à genoux l’arrêt qui, en les déclarant atteints et convaincus du crime de haute trahison, les condamnait à être décapités avant la fin du jour. Nullement préparés à ce terrible dénoûment, que la clémence habituelle du régent rendait en effet peu vraisemblable, et contre lequel trois d’entre eux avaient cru se prémunir par la sincérité de leurs aveux, leur attitude révéla les impressions dominantes chez chacun d’eux. M. de Pontcallec exhala sa surprise par une explosion de fureur, en se rattachant toutefois à l’espérance d’un sursis. MM. du Couëdic et de Talhouët, rejetant cette illusion, comprirent que leur dernière heure était venue et s’élevèrent sans effort, par la puissance de leur foi, à la courageuse acceptation du sacrifice; M. de Montlouis prit ses dispositions avec une calme et mâle simplicité. Le même arrêt prononça la peine de mort contre seize accusés fugitifs[1], et déclara que la sentence définitive serait rendue contre

  1. Ces condamnés contumaces, qui furent décollés en effigie sur l’échafaud fumant du sang versé la veille, étaient MM. de Talhouët de Bonamour, de Lambilly, d’Hervieux de Mellac, Couëssin de La Berraye, de Talhouët de Boisorhant, de Trevelec de Bourgneuf fils, Gocquart de Rosconan, le comte et le chevalier de Rohan-Pouldu, du Groësquer l’aîné et l’abbé du Groësquer, de La Houssaye père, de La Boissière de Kerpedron, le chevalier de Lantivy du Crosco, Le Gouvello de Kerantré et de Villegley. Ces exilés moururent pour la plupart en Espagne ou à la petite cour de Parme. M. de Talhouët de Bonamour devint commandant des gardes wallonnes, M. de Lambilly occupa d’importantes fonctions diplomatiques, et MM. de Rohan-Pouldu obtinrent des charges de cour. Le reste de l’émigration bretonne vécut misérablement, comme le constate Saint-Simon, qui en trouva les survivans en Espagne. — Mémoires, t. XI.