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forme aux besoins des sociétés, il ne peut pas manquer de produire de bons résultats, et sous toutes les latitudes les peuples gouvernés directement ou indirectement par l’église seront les plus heureux de la terre. Aux fruits vous connaîtrez l’arbre, a dit l’Évangile. Voyons donc s’il en est ainsi, et dans notre voyage autour de la terre ne craignons pas de prendre pour guide M. von Scherzer, car chacune de ses appréciations est appuyée sur des chiffres officiels où l’on peut puiser les pièces de conviction du procès.


I.

Sortie péniblement des détroits de l’Adriatique et de la Méditerranée, la Novara s’élance enfin sur l’Atlantique; mais elle s’arrête encore pendant quelques jours dans la baie de Funchal, à Madère. Elle y aborde vers la fin du printemps, en juin. L’île apparaît dans toute la splendeur de sa merveilleuse végétation. Les Anglais l’ont bien nommée ocean flower, la fleur de l’océan. Toute cette terre volcanique n’est qu’un bouquet. La nuit, les senteurs les plus pénétrantes embaument l’air, et jusque sur la mer azurée entourent le navire d’une atmosphère parfumée. Là se rencontrent et se confondent les flores de la région tempérée et de la zone tropicale. Les platanes, les châtaigniers, les sapins se mêlent aux bananiers, aux palmiers, aux dragoniers. Les guirlandes légères des passiflores se suspendent aux branches de l’acacia. Dans les haies, les aloès élèvent à la hauteur de 40 pieds leurs girandoles fleuries. L’hortensia, les camellias et les fuchsias en arbre, l’oléander et les roses luttent de grâce et d’éclat non loin du caféier et de la canne à sucre. Jusqu’au plus haut sommet, les blocs de basalte du pic Ruivo, à 5,792 pieds, se couvrent encore de fougères et de bruyères grandes comme des saules. Le climat est d’une douceur et d’une égalité parfaites. La température moyenne est de 19 degrés centigrades; elle ne dépasse presque jamais 23 et ne tombe pas au-dessous de 10. Le soleil éclate dans toute sa force, mais l’ardeur en est tempérée par les brises de l’Atlantique. Rien que de vivre dans ce paradis est une bénédiction, un luxe : life there is a mere luxury, comme disent les Anglais, chaque année plus nombreux, qui viennent y chercher un air plus doux pour leurs poitrines atteintes ou menacées de phthisie. Voilà ce que la nature a fait pour cette île fortunée, voyons ce qu’en ont fait les hommes.

Madère, encore inhabitée, fut découverte en 1419 par deux Portugais, João da Camara et Tristão Texeira. Chacun d’eux obtint la concession de la moitié de l’île. Ils cédèrent des terres à ceux qui vinrent s’y fixer; mais ils se réservèrent des monopoles de tout