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ne nous fournisse point de chiffres officiels, le bureau français considérant, paraît-il, la statistique comme un mystère d’état. Certainement il ne peut plus en être de même aujourd’hui. La reine Pomaré jouit d’une liste civile de 25,000 fr., et son fils, l’héritier du trône, d’une dotation de 1,800 fr. Voilà un jeune prince qui ne contractera pas d’habitudes ruineuses. Il est probable que, si on décrétait la liberté commerciale et la tolérance religieuse, Tahiti ne tarderait pas à acquérir une certaine importance, car sa situation, à moitié chemin entre l’Amérique et l’Australie, en fait un admirable point de relâché pour l’approvisionnement des navires en vivres frais et en charbon.

D’où vient que la France ne réussit pas dans ses colonies, elle qui pourtant tient une si belle place dans le champ du travail européen, depuis surtout qu’elle a secoué les entraves de la protection et des prohibitions? Le marquis de Mirabeau a écrit à ce sujet dans son Ami des Hommes un chapitre qui mérite d’être lu et même relu. J’en citerai un passage seulement. « Un gouverneur et un intendant se prétendant tous deux les maîtres et jamais d’accord; un conseil pour la forme; gaîté, libertinage, légèreté, vanité; force fripons très remuans, des honnêtes gens souvent mécontens et presque toujours inutiles; au milieu de tout cela des héros nés pour faire honneur à l’humanité et d’assez mauvais sujets capables à l’occasion de traits d’héroïsme; le vol des cœurs pour ainsi dire et le talent de se concilier l’amitié des naturels du pays; de belles entreprises et jamais de suite; enfin le fisc, qui serre l’arbre naissant et déjà s’attache aux branches, le monopole dans toute sa pompe, voilà nos colonies et voilà nos colons. »

L’excès de réglementation, le défaut de liberté, sont certes deux des causes d’insuccès de la colonisation française; mais il en est une plus profonde qui tient non aux procédés du gouvernement, mais à un des caractères de la race, qui serait une vertu, s’il ne s’y mêlait souvent un peu trop d’ignorance. Le Français est tellement attaché à sa patrie qu’il ne la quitte jamais sans l’espoir d’y revenir. Ceux qui vont à l’étranger ne comptent pas y faire souche; ils veulent faire fortune pour en jouir en France. Il s’ensuit qu’ils se feront négocians, commerçans, maîtres de langues, au besoin coiffeurs ou marchands de modes, rarement agriculteurs, car à remuer la terre on se fatigue vite, et la fortune vient lentement. Ce qu’il faut cependant pour fonder une colonie nouvelle, ce sont de bons cultivateurs, dont les bras soient assez forts, assez patiens pour mettre en valeur le sol vierge. Le paysan français aime jusqu’à la passion le sillon qu’il a arrosé de ses sueurs, le clocher qui l’a vu naître. Il ne connaît pas ces contrées lointaines où il pourrait vivre plus heureux, et, si on les lui vante, il se méfie. Les Germains au contraire,