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prend, l’érudition avait tellement négligé les œuvres de Platon qu’il n’en existait que six éditions, dont la plus récente datait de 1606? « car, ajoute le même savant, peu le lisent, très peu le comprennent, quoique beaucoup en parlent. » C’est donc M. Cousin qui a entrepris de le faire lire et comprendre parmi nous. Non content de l’avoir remis en honneur dans ses cours, il s’est proposé, voilà plus de quarante ans, de faire pour la France ce que Schleiermacher avait tenté pour l’Allemagne (1804), une traduction complète. Ce grand ouvrage, quoique, pour l’avoir interrompu souvent, il n’ait pu lui donner tout le fini qu’il espérait, il y a peu d’années encore, lui rendre par un nouveau travail, a parfaitement atteint son but. Il a réhabilité Platon tout entier, il l’a rendu plus accessible, il a fourni aux lecteurs sérieux plus de facilités pour l’étudier et pour comprendre les recherches et les appréciations ultérieures dont il devait être l’objet. Quand le premier volume, qui est sans doute un des plus achevés, parut, il produisit un grand effet. Ce fut comme une révélation. Depuis lors, de studieux critiques, des juges excellens se sont mis à l’œuvre, et le platonisme analysé, commenté, reproduit, est devenu une doctrine aussi aisément abordable à tous que peut l’être celle de Descartes ou de Leibniz.

Elle ne pouvait être l’objet d’une curiosité aussi soutenue et aussi féconde en Angleterre. Platon a traité souvent l’expérience et les phénomènes changeans qu’elle observe avec un dédain trop superbe pour que la patrie de Bacon soit partiale ou même facilement juste à son égard. Il n’y a pas de sympathie naturelle entre les esprits spéculatifs, enclins à l’idéalisme, et les esprits pratiques, qui ne s’élèvent aux plus hautes sciences que pour mieux s’emparer des réalités. On peut sans doute citer d’honorables exceptions. Coleridge se croyait bon platonicien. Toutefois, de toutes les exceptions, la plus remarquable est la plus récente.

A la vérité, on ne peut guère appeler M. Grote un platonicien; mais il connaît Platon, il l’admire beaucoup et il lui a élevé un véritable monument. Tout le monde sait au moins le titre de son Histoire de la Grèce ; c’est un grand et important ouvrage, un ouvrage original. L’auteur, pour l’écrire, s’est prescrit de tout lire, j’entends tout ce qui a été écrit en grec sur la Grèce. Ayant tout lu, il a tout su, et, sachant tout, il a tout dit. Par un contraste assez piquant, malgré son commerce intime avec la langue et le génie du plus artiste des peuples, il s’est peut-être trop détaché, en racontant son histoire, des exemples et des leçons de l’art. Sa narration ou plutôt son exposition est exacte et complète, rien n’y manque pour l’instruction, ni les faits, ni le jugement des faits; mais la proportion des parties, l’intérêt, le mouvement du récit, laissent à désirer. On pourrait demander plus d’ordre et plus de rapidité; ce-