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REVUE MUSICALE

Se figure-t-on l’embarras de quelqu’un qui se proposerait aujourd’hui de dresser dans les règles le tableau du mouvement musical? Je prends un homme libéral, éclairé, ouvert à toute discussion, honorant le passé splendide, ne demandant pas mieux que de jouir du présent, et fort capable d’ailleurs de comprendre l’avenir. Que verra-t-il dans le milieu où l’art s’agite? Immensément de savoir, de rouerie, tous les secrets du métier révélés, pratiqués habilement, effrontément dès le premier âge, des raffinemens délicats, une incroyable dextérité de main dans l’élaboration de formules apprises, des aptitudes, des talens en quantité, nul génie. Nous sommes en pleine période critique, et ces périodes-là ne sont point si mauvaises pour bien goûter les belles choses en tout genre. Plus de parti-pris, d’exclusivisme, comme aux époques de tendance et de grande production, plus de juges absolus, rébarbatifs, prononçant en dernier ressort, ex cathedra, comme le Père éternel des vieux tableaux italiens qui tient une balance et parque invariablement les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche; mais un esprit public mieux informé, aimant à se rendre compte de ce qu’il admire, ne reniant aucun dieu, admettant même les idoles, et, tant qu’elles ne sonnent point trop creux, leur allouant de bons revenus. Ce Bach, que les gens de 1718 trouvaient trop profond, ce Beethoven, trop haut pour ses contemporains, nous les avons abordés, mesurés; la profondeur de l’un pas plus que la sublimité de l’autre ne nous épouvante. Et ce n’est point seulement tel prélude du vieux Bach qui nous charme, l’œuvre entière nous attire, nous intéresse; quant à Beethoven, il nous passionne, on ne l’entend jamais assez, point de fête sans lui. Ἀχελώῳ θύειν (Achelôô thuein), disait jadis l’oracle de Dodone en terminant chacune de ses réponses, quelle qu’elle fût, « sacrifier à Achélous. » Glorifiez Beethoven, ne se lasse plus de répéter aujourd’hui la voix de l’opinion. Je m’amusais naguère à parcourir la Gazette musicale universelle de Leipzig, année 1799. L’impression que ces sortes de lectures à