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chante faux partout et toujours, et aussi de ne pas s’exposer elle-même à détonner lourdement.

La saison du Théâtre-Italien n’est plus guère aujourd’hui qu’une série de représentations expérimentales données par Mlle Adelina Patti. On connaît cet oiseau mignon de la machine pneumatique qui, dans les cours de physique, arrache par sa mort tant de larmes de pitié à la partie féminine de l’auditoire. Au Théâtre-Italien, c’est juste l’inverse. L’aimable oiseau fait le vide sur la scène, le vide absolu ; mais il n’en meurt pas, bien au contraire, et n’en dégoise que mieux sa ritournelle. Après la romance de la rose et les cavatines chromatiques, voici venir l’air de bravoure. Martha, Linda, ne pouvaient se consoler de n’être ni Desdemona, ni dona Anna; Rosine voulait être reine. Reine, passe encore : au théâtre tout le monde l’est plus ou moins. Il s’agit simplement d’être jeune et jolie, d’avoir une voix, un talent dont le public s’engoue, en un mot de savoir réussir. À ce compte, Mlle Patti trônait au Théâtre-Italien dans tout l’éclat de la gloire la plus applaudie, la mieux rentée. On s’étonne donc qu’une si gracieuse majesté ne se soit point tenue pour satisfaite. Regina e guerriera! reine à la bonne heure, mais pourquoi guerrière? Caprice d’enfant gâté que le succès éblouit, enivre, et qui, sans autre conseil que le besoin fiévreux de provoquer de nouveaux applaudissemens, s’en ira d’autant plus avidement rechercher certains rôles que ces rôles seront plus en désaccord avec les conditions de son physique et de son talent. On se coiffe d’une idée, mais surtout d’un casque. Il faut bien être un peu Sémiramis et Jeanne Darc à un moment donné de la légende. C’était sur le programme de cette année, c’était écrit. Il y avait, comme pour les conférences de l’Athénée : « saison de 1867-68; au Théâtre-Italien, Mlle Patti étudiera le grand répertoire. » — Encore si elle étudiait; peut-être y trouveraient-ils quelque profit, ceux qui suivent le cours assidûment. Le malheur veut qu’elle n’étudie rien, et se contente de livrer au public, tels quels et comme ils lui viennent, les divers personnages qu’elle interprète, de sorte que par le fait tous se ressemblent. Qui a vu Lucia connaît Linda, connaît Gilda, les deux Elvire (celle des Puritains et celle d’Ernani). On croirait assister à un bal masqué dont l’adorable virtuose fait à elle seule tous les frais; sous quelque brillant et superbe déguisement qu’elle se montre, vous retrouvez toujours le thème-Patti; en dépit des variations prestigieuses, des ruisselantes pierreries, c’est toujours la même note, et cette note, osons le dire, le public la sait tellement par cœur, qu’il néglige souvent de venir l’entendre.

Passer en revue le grand répertoire était une entreprise des plus louables, à cette condition pourtant qu’on se serait préparé, mûri à l’avance par le travail, la réflexion, la recherche des modèles. En l’absence d’un maître sérieux, d’un Porpora ou d’un Paër capable non pas seulement