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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/608

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avec le principe détesté, recevoir ses ambassadeurs ! Jamais déboire ne fut plus amer. Sans parler du fâcheux exemple que donnait un tel précédent, comment faire entrer ou faire asseoir dans les salons de la bonne compagnie diplomatique, sans tout souiller ou tout briser, ces plénipotentiaires du peuple souverain, les mains encore toutes tachées du sang royal ; d’autant plus que la république n’apporta dans ses choix aucun ménagement pour rendre son abord plus agréable ? Ses premiers envoyés furent ou des complices du régicide, comme Jean Debry, ou des pédans qui le justifiaient, comme Garat et Sieyès, qui réunissait avec avantage ces deux qualités. Il était difficile de proposer à de vieux courtisans des interlocuteurs moins de leur goût. Au premier geste, à la moindre parole, la différence de sentimens éclatait par celle des manières. C’étaient le renard et la cigogne de la fable, nul moyen de les faire souper ensemble ; mais, la répugnance personnelle même une fois surmontée, restait une difficulté plus grave qui dut longtemps empêcher les représentans de l’ancienne Europe de placer la moindre confiance dans les députés improvisés de la souveraineté populaire. Comment se fier aux envoyés d’un pouvoir dont la base était la mobilité même ? La convention avait répudié tous les traités de la monarchie. Quelle garantie que le directoire ferait honneur à la signature de la convention ? Puis allait venir le consulat, qui fit sauter le directoire par les fenêtres. Comment se reconnaître dans cette rapide fantasmagorie ? Laquelle de ces ombres fugitives de gouvernement qui se chassaient les unes les autres possédait le cœur et pouvait engager la parole de la France ? Quel fond faire sur des sermens qu’allaient emporter devant eux en se jouant le flot démocratique et le vent populaire ?

Voilà la question pleine d’angoisse que devaient s’adresser dans leur conscience les premiers négociateurs chargés d’échanger leur signature avec la révolution française, à Baie, à Rastadt, à Léoben, à Amiens même et à Lunéville. Le principe de la souveraineté populaire semblait frapper d’une nullité anticipée les engagemens pris en son nom, et il faut bien dire qu’au premier moment ces prévisions furent cruellement justifiées, car jamais il n’y eut dans le monde un mépris aussi affiché des engagemens les plus solennels, une violation aussi effrontée et aussi systématique de tous les traités que pendant les vingt années qui suivirent l’essai du droit nouveau inauguré.par la France. Aucun des représentans successifs du pouvoir populaire ne semblait se tenir pour obligé par la promesse de son devancier ou de son collègue, et, ce manque de foi dégénérant en habitude, ils en arrivaient tous assez vite à n’avoir pas plus de respect pour la leur propre. A peine, par exemple, le victorieux Bonaparte a-t-il, par la paix de Campo-Formio, pacifié l’Italie