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un bien volé ; c’est plus honorable et plus sûr. Les vainqueurs de 1815 (les mêmes à peu d’exceptions près que les alliés de 1792) ne pouvaient manquer de profiter de ce retour d’opinion qui suivait le retour de la fortune pour réintégrer dans ses honneurs l’ancien droit monarchique sous une forme à peine adoucie. Ce fut le signal d’une renaissance à la vie et d’un regain de jeunesse pour la vieille diplomatie. Convoquée à Vienne dans de solennelles assises, elle ouvrit une enquête assez semblable à celle dont nos codes ont tracé la procédure pour retrouver des propriétaires absens : elle alla rechercher dans leurs retraites les souverains que la révolution française avait détrônés pour les remettre en possession de leur héritage de couronne, de leur lot de peuples et de territoire, exactement au même titre que Louis XVIII rendait aux émigrés de France leurs champs ou leurs bois séquestrés. La légitimité, ce fut son mot d’ordre, et, bien entendu, elle ne désignait point par là ce que tant d’esprits éclairés ont depuis lors célébré sous ce nom, une grande institution consacrée par le temps et servant de pivot aux libertés publiques. Non, c’était tout simplement un synonyme imaginé pour ne pas dire trop crûment la propriété. Un constituant désabusé, M. de Talleyrand, eut le mérite de mettre en circulation cet euphémisme qui facilitait les repentirs, dont il donnait l’exemple. Du reste, au nom près, qui ne fait rien à l’affaire, toutes les restaurations royales de 1815 eurent le caractère de restitutions privées. De savoir ensuite si le principe fut appliqué avec autant de scrupule qu’il était proclamé avec emphase, si dans le cours de cette opération réparatrice les gros ayant-droit ne se firent pas souvent leurs parts aux dépens des petits créanciers, si les liquidateurs ne prélevèrent pas pour leur peine une commission un peu exagérée, c’est ce dont je ne voudrais pas jurer ; mais toujours est-il que ce fut sur la base de l’ancien droit que l’édifice européen fut relevé en 1815, et, quelque peu de goût qu’on ait pour ce fondement, on ne peut nier que la comparaison ne lui ait été avantageuse, et que l’Europe, fatiguée des désordres qu’avait enfantés le principe contraire, ne lui ait dû le bienfait de se reposer dans une ère assez longue, sinon de justice absolue, au moins de prospérité et de paix.

Il y a pourtant une chose qui dépasse la puissance humaine, c’est de tuer les idées ou de les ressusciter. Le nouveau droit n’avait pas péri, même dans ses excès ; la résurrection de l’ancien, quoique suivie de bienfaits réels, ne fut qu’apparente et passagère. Une génération élevée dans l’indépendance d’esprit du XVIIIe siècle ne pouvait, quelque effort qu’on fît sur elle ou qu’elle fit sur elle-même, retrouver dans son cœur assez de respect du passé pour appuyer un système auquel la foi traditionnelle et la piété monarchique peuvent seules servir de fondement. Quinze années ne s’étaient pas écoulées