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maturité, — ce système que la France plus qu’aucune autre nation avait contribué à faire prévaloir en Europe, que tous les maîtres de notre jeunesse nous avaient appris à considérer avec respect comme un legs précieux de nos vieux politiques et le prix du sang de nos soldats, c’est tout cela, sans distinction et sans restriction, qui a été mis, à un jour donné, à l’écart et à l’index par les théoriciens du droit nouveau. Ce n’est pas telle application de l’équilibre en particulier, telle disposition donnée des traités de Westphalie ou de Vienne, telle répartition déterminée de territoire, c’est l’équilibre tout entier en soi et en principe qui a été déclaré suranné et caduc comme un legs du passé, une conséquence du droit monarchique incompatible avec la souveraineté populaire. Le droit nouveau, par ses organes les plus accrédités, a fait savoir à tous les peuples que la dignité de leur souveraineté nouvelle ne leur permet plus de se prêter à aucune combinaison d’équilibre.

Eh bien ! nous le dirons hardiment, si cette sentence est bien fondée, et si l’incompatibilité qu’elle prononce est réelle, c’est tant pis pour le droit nouveau et pour les sociétés qu’il doit régir. Quant au vieil équilibre européen, sa réputation est faite, ses comptes sont réglés en bien comme en mal avec l’histoire : il n’a rien à perdre, et le vide qu’il laissera en disparaissant l’assure des regrets qui entoureront sa mémoire. Assurément rien n’est plus aisé que de le détruire, sa balance n’a jamais été très stable, et le difficile était de la tenir en repos. En la poussant un peu brusquement, ou est sûr de la renverser tout à fait ; mais il est moins aisé de la remplacer et de s’en passer, car encore une fois la nécessité qui a fait recourir à cet artifice de politique n’est point de celles qui disparaissent au goût et au gré des novateurs. Elle se redressera sous les pas de ceux qui prétendent la méconnaître. Souveraineté populaire ou souveraineté royale, il n’importe ; il est toujours vrai, aujourd’hui comme hier, sous le nouveau comme sous l’ancien régime, que les peuples n’ont point de juges pour terminer pacifiquement leurs différends, et que l’appel aux armes est entre eux l’unique recours du droit obstinément méconnu. Il n’est pas moins certain que cet appel n’est qu’une illusion, si l’égalité n’existe entre les combattans, et si la victoire est assurée d’avance à l’un d’eux par une prépondérance décisive. Il est également clair enfin qu’un équilibre consenti et réglé d’un commun accord est le seul moyen jusqu’ici imaginé d’établir cette égalité entre les grands états, et d’y suppléer pour les petits en leur permettant de chercher parmi les grands un protecteur. Tout cela est vrai avant comme après la révolution française, qui n’y a absolument rien changé, et, si tout cela est vrai, il est évident par là même que déclarer le droit nouveau inconciliable avec tout